Le commerce en Méditerranée
n'était pas très simple au XV ième siècle
et si Jacques Cur avait fait en 1432 un voyage bien mystérieux,
ce n'est qu'une douzaine d'années plus tard qu'il va mettre
en place une petite flotte pour commercer vers le Levant.
Le commerce en Méditerranée
au XV ème siècle
Les navires chrétiens qui faisaient
route vers l'Orient, n'étaient que rarement en sécurité.,
ils devaient affronter de graves périls, car cette mer
pullulait de forbans, corsaires et autre bandes armées
de tous ordre. Certains capitaines ne vivaient que de prises
et de rançons.
Jacques Heers affirme que " plusieurs villes portuaires
du Maghreb armaient régulièrement pour la course
; leurs navires revenaient chargés de butin et de captifs,
vendus sur les marchés aux esclaves.
Inversement, les corsaires chrétiens, de Majorque par
exemple razziaient hommes et femmes dans les villages de pêcheurs
d'Afrique du Nord, et ils pourchassaient aussi les " Maures
" en haute mer. Le Catalans s'en allaient faire la chasse
aux Turcs et aux Egyptiens, ce qui eut pour conséquence
de ruiner le commerce de Barcelone et Collioure en Egypte où
ils n'étaient plus reçus.
Les documents signalent par exemple que
des négociants musulmans furent vendus à Barcelone
comme esclave et leur marchandise confisquée. Le sultan
exigea une amende de 30 000 ducats à percevoir par les
Catalans établis au Caire ou à Damas et plus tard,
une nef de Barcelone voulant rançonner des navires à
la sortie du Nil, le sultan fit confisquer tous les biens des
Catalans du Caire et tout commerce fut désormais interdit
pour les Catalans en Egypte.
Le commerce de marchandises de Jacques
Cur
Dans son commerce qui commence à
partir de 1444, Jacques Cur emporte des fourrures, fourrures
vairs, par exemple , "Vair" du corail de Provence,
de Sardaigne, en sens inverse, les bateaux revenant vers l'Occident
transportent évidemment des épices, transportent
de l'or, cette fois-ci, l'or était arrivé à
Alexandrie en provenance du Soudan, du coton, des soieries et
indirectement de l'alun, et il faut préciser quelque chose
qui est intéressant, c'est que toutes cette zone ci, où
se trouve Chio, où mourra Jacques Cur était
interdite pratiquement aux bateaux, notamment aux bateaux français,
les génois se réservant le monopole de l'alun donc
Jacques Cur devait s'alimenter là, pour une fois
indirectement en alun auprès des génois.
Venant des ports méditerranées,
des épices sont transportés vers le nord, en passant
par Le Puy, par exemple et également par Lyon, donc en
direction de Bourges et en direction surtout l'affaire essentielle,
car c'est à Tours que se trouvaient les magasins de l'Argenterie
qui recevaient tous ces produits précieux, dont les familiers
du roi étaient friands. Ces marchandises pouvaient aller
ensuite en direction de Bruges, mais aussi vers Rouen et d'autres
points du royaume.
On voit aussi en sens inverse, la descente
des draps de Flandres en direction de la Méditerranée,
l'alimentation en draps également du Berry bien entendu,
le Languedoc, et le long des trois fleuves, la circulation du
sel, le sel qui remontait de Camargue, le sel qui venait de la
baie de Bourgneuf, ici et qui remontait la Loire en direction
par exemple d'Orléans et de Paris et le même trafic
sur le Seine.
L'essentiel de ce trafic était destiné à
l'approvisionnement des magasins de l'Argenterie qui étaient
à Tours puisque le roi Charles VII s'est plutôt
bien fixé dans un petit château à côté
de Tours, le château de Plessis-les -Tours, à partir
de 1444. Et Jacques Cur était à la fois,
ce qui fait un des éléments essentiels de sa fortune,
le fournisseur d'articles de luxe et celui qui les vendait ensuite
aux gens de la Cour, avec des profits qui étaient sans
doute substantiels. Au passage, on peut noter qu'il s'accommodait
de paiements assez originaux. On sait qu'au moment de la construction
de cette maison que le seigneur d'Aubigny, bien connu, Jean Stuart,
qui avait pris des marchandises à l'Argenterie de Tours
a payé directement sans passer par l'Argenterie. Il a
payé Jacques Cur en fournissant du bois pour la
construction de la maison où nous sommes.
Mais Jacques Cur s'acquittait aussi
d'une série de missions diplomatiques à Gênes,
auprès du roi d'Aragon qui était fort important
puisqu'il maîtrisait toute une large partie de la Méditerranée
occidentale, auprès du pape évidemment, avec de
très grandes ambassades, en particulier en 1447, 1448,
et voyez c'est le moment où le statut d'homme du roi commence
à s'imposer véritablement, donc une activité
extraordinaire qui apparaît d'ailleurs en creux avec la
médiocrité semble-t-il de son fils, du seul de
ses fils qui ne soit pas clerc, Ravant Cur un personnage
autant qu'on puisse le saisir, particulièrement fallot.
Les navires de Jacques Cur
On peut ajouter quand même ceci,
c'est que ces bateaux étaient certainement des bateaux
d'assez faible tonnage, 100, 200 tonnes de port, autrement dit,
rien de commun avec les grands bateaux génois qui atteignaient
1000 tonnes et davantage.
La méditerranée est la chasse
gardée des Génois et Vénitiens.
Parmi les écrits qui se transmettent
au fils du temps, ses débuts d'armateur sont intéressants.
On dit que Jacques Cur commande en 1443 une galée
aux chantiers de Gènes, le délai est très
court, il la reçoit, la baptise Notre Dame Saint Denis
et s'empresse de la ramener à Aigues Mortes afin que les
charpentiers locaux la copient pour en faire de semblables.
C'est peut être vrai, mais le bateau est acheté
au titre des galées du roi, et financé par le roi,
et surtout, on ne sait pas grand chose des bateaux suivants,
ni de leur provenance, ni de leur chantier de construction. Il
y a donc un vraie légende tendant à montrer, soit
qu'il était bien un escroc, soit qu'il était débrouillard
et très fort.
En réalité, c'est le roi
Charles VII qui commande cette galée Notre Dame Saint
Denis et un an plus tard, il nomme Jacques Cur comme gérant
du bateau. Il est en outre responsable de l'armement et de l'équipage
qu'il doit recruter.
Ce navire quitte Aigues Mortes, et fait escale à Marseille
en 1445, on sait que plusieurs marchands vont embarquer, très
intéressés, semble-t-il par le commerce des épices.
Par exemple, la galée, La Madeleine
est achetée au nom du roi par Jacques Cur aux Chevaliers
de Rhodes.
L'argentier en prend possession, mais le confit à un capitaine
local Michel Teinturier, de Montpellier.
Les archives ont montré que les
deux premières galées de France en octobre 1446
étaient dans le port de Marseille et partaient pour le
Levant avec plusieurs marchand à leur bord, sans doute
des notables de la ville.
Il fait construire deux autres navires,
ils ont tous un double nom : Notre Dame Saint Jacques, Notre
Dame Saint Michel.
On sait qu'ils ont pris la mer en 1447 ou au début de
1448, mais nul ne sait où ils furent construits.
Dernier bâtiment des galées
connu de Jacques Cur, la Rose, qui a été
mise en chantier en 1450.
La flotte est formée de galées,
mais les mots différent beaucoup à cette époque.
C'est une embarcation de 40 à 50 mètres de longueur,
avec 5 à 6 mètres de large. C'est donc un gros
bateau. On peut transporter 150 à 200 tonnes de marchandises
ou objets précieux. C'est donc un commerce important.
Lorsque la galée revient, il y a "gros à vendre".
Lorsque la galée sombre ou est prise par les pirates,
c'est la ruine.
Une galée qui peut être à voile ou à
rame comprend 150 à 200 rameurs.
Jacques Cur possède 4 galées
dans un premier temps ce sont 2 galées, et 4 à
partir de 1447. La grande flotte de Jacques Cur est donc
assez modeste.
4 bateaux, ce n'est pas grand chose.
Le chiffre ira jusqu'à 7 ou plus
sans savoir à qui elles appartiennent.
Les accords de Jacques Cur
pour commercer au Levant
Il y avait à cette époque,
de la part du roi Charles VII autant que du sultan un véritable
besoin de paix. Et dans les négociations avec les hommes
d'Alexandrie, Charles VII voulait passer pour le représentant
d u monde occidental d'alors.
Il voulait obtenir la liberté du commerce maritime pour
la France et toutes les nations chrétiennes d'Occident,
et le Sultan s'y enngagait :
" Et ay mandé à tous les seigneurs de mes
terres, et par espécial au seigneur d'Alexandrie, que
face bonne campaignie à tous les marchans de la terre
et qu'il leur soit fait honneur et plaisir ".
Le premier facteur de Jacques Cur,
Jean de Village s'était fait accepté, et il était
très apprécié par le sultan Jacmac.
La diplomatie était fondamentale,
il fallait se mettre bien avec les Hospitaliers de Rhodes, une
escale importante et gagner aussi les bonnes grâces des
Catalans et des armateurs de Marseille. Il fallait aussi soutenir
Venise, et le pape Eugène IV, Vénitien, signa une
licence accordant à Jacques Cur, argentier du roi
le droit de commercer en pays musulman.
Le roi Charles VII, qui avait une bonne
vision de la situation voulait à la fois préserver
la paix marchande et la sécurité des négociants,
et il s'affirmait ainsi comme le défenseur et le protecteur
des chrétiens., en particuliers des pèlerins qui
se rendaient en Terre Sainte.
C'est dans ce contexte particulièrement
fragile que se situe un épisode que Jacques Heers va appeler
" Les pièges du Caire " et que le professeur
Guillot a bien analysé dans son livre sur la chute de
Jacques Cur. Il s'agit de l épisode du jeune esclave
d'Alexandrie.
Avoir renvoyé un jeune esclave
Dans le procès de Jacques Cur,
il y aura 2 arguments traitant de la mer. Le premier c'est d'avoir
renvoyé un jeune esclave maure réfugié en
France vers l'Egypte, d'où il venait.
Il s'agissait d'un adolescent de 14 ou 15 ans nommé Aboleris.
C'était un esclave musulman d'Alexandrie.
Aboleris était " un chrestien de la terre du Prêtre
Jean ", qui était alors un pays que nous situerions
aujourd'hui en Ethiopie.
En 1446, la caraque " Notre Dame Saint
Denis " était dans ce port pour un de ses voyages
annuels. Et soudain, Aboleris alla se réfugier dans ce
navire. Le capitaine en était Michel Teinturier, c'était
un capitaine du Languedoc.
Le jeune garçon criait : " Pater Noster, Ave Maria,
je veux être un bon chrétien ".
Et devant cette supplique le capitaine de Jacques Cur le
ramena en France.
Le navire arriva sans doute à Lattes,
le port que Jacques Cur avait fait aménagé
près de Montpellier. Le fugitif fut placé donc
placé à Montpellier chez l'archevêque de
Toulouse, comme valet d'écurie.
" Ou ledit enfant eust demouré
par long temps et par plus de deux mois avecques aucun bourgeois
et marchand de ladicte ville, et aussi aveques Pierre du Moulin
lors archevesque de Toulouse, en le servant de officie de varlet
de chambre ".
Depuis son arrivée, le jeune esclave
s'était comporter semble-t-il en bon chrétien et
tout aller pour le mieux.
C'était sans compter sur la colère de Jacques Cur
qui apprit cette affaire. Il appris cette aventure en arrivant
à Montpellier et il convoqua Michel Teinturier et s'expliqua
:
" Jacques Cur avoit mandé
Michel Teinturier venir parler à luy et luy avoit fait
très mauvaise chière et dit plusieurs paroles injurieuses
en lui disant qu'il avoit mal fait d'avoir mené ledit
esclave chrestien d'Alexandrie et de l'avoir robé à
son maistre ".
Jacques Cur ordonna le retour d'Aboleris
à Alexandrie dans les meilleurs délais, menaçant
de ruiner la famille Teinturier le père Ysart et le fils
Michel si cet esclave n'était pas renvoyé à
Alexandrie.
Sans doute très en colère
à son tour Michel Teinturier fit enfermer le jeune esclave
dans une prison du Bailly pour un mois avant de le faire conduire
à Aigues Mortes, par son père Isart et de le mettre
sur la galère de Guillaume Gimard, un des facteurs les
plus fidèles de Jacques Cur et le navire jeta l'ancre
et fit route pour Alexandrie.
Une fois arrivé à Alexandrie,
le jeune homme " renia la foi et se tint à la loi
des Sarrazins ".
Les conséquence de cet acte
Après cet épisode, plusieurs
esprits furent choqués car ramener un esclave converti
était une bonne action et de nombreux chrétiens
et membres du clergé ne comprenaient pas, eux qui passaient
leur vie à convertir des esclaves à la vraie religion
blâmaient cet acte. L'opinion de l'époque fut alerté
par les gens de Barcelone et de Marseille, et Jacques Cur
devenait une sorte de coupable, vis à vis du monde chrétien.
Inversement beaucoup de gens, très
au fait du commerce avec le Levant et qui connaissaient bien
les contraintes qui pesaient sur le commerce en Méditerranée
trouvaient que Jacques Cur ou ses fidèles représentants
ne pouvaient agir d'une autre façon. Il n'était
pas possible de violer les engagements pris avec le sultan d'Egypte.
Le traité de paix stipulait le respect des biens de chacune
des parties.
Pour beaucoup, on fit à Jacques
Cur " une mauvaise querelle ".
Jacques Cur fut accusé quelques années plus
tard, d'avoir livré un chrétien aux Infidèles,
telle fut d'ailleurs la déposition de Michel Teinturier
qui était alors très fâché avec Jacques
Cur, lors du procès de ce dernier.
Il faut remarquer que la haute hiérarchie
chrétienne ne dit rien sur ce retour et qu'ensuite, il
n'était pas possible de commercer si l'on ne pratiquait
pas les règles admises, et il n'était pas possible
de ramener un esclave en France. Avec un tel incident, ce pouvait
être une série de représailles, et le grand
maître de Rhodes ainsi que des négociants du Languedoc
insistèrent auprès de l'Argentier pour activer
le retour du jeune esclave.
Un auteur affirme qu'il aurait été
dramatique si des Sarrazins avaient enlevé un esclave
à Montpellier, affirmant qu'il voulait se convertir à
l'Islam ! Car il y avait " de nombreux Magrhibins, des Grenadins,
des Noirs, voire des Orientaux d'origine diverse et pas toujours
musulmans, sont captifs dans les pays méditerranées
chrétiens, surtout à Majorque et en Catalogne ".
Le procès de Jacques Cur
et l'esclave d'Alexandrie
Dans l'arrestation de l'argentier de Charles
VII, figurent plusieurs motifs, comme l'assassinat d'Agnès
Sorel, la vente d'armes aux Infidèles ou encore la fabrication
de " fausse monnaie ", mais dans les premiers chefs
d'accusation se trouve en bonne place l'affaire du retour d'un
chrétien vers Alexandrie.
Et l'arrêt de condamnation de Jacques
Cur qui date du 29 mai 1453, à Lusignan, qui va
permettre à Jean Dauvet de faire le point sur tout ce
que possédait Jacques Cur, mentionne lui aussi cette
affaire de 1446 à Alexandrie et Montpellier.
On retrouve dans ce texte, tous les éléments
déjà vus précédemment comme :
" ung jeune enfant de l'aage de 14 à 15 ans, , estant
en Alixandrie
" puis toute cette aventure jusqu'à
la conversation houleuse entre Jacques Cur et Michel Teinturier,
en terminant par "
où il a depuis austrefois
regnié la foy chrestienne en commectant par ce moien et
en ce faisant plusieurs grans et énormes crimes, comme
crime de lèse-maiesté, force publicque, prison
privée, transport de nostre juridicion en autre, crime
de playe et autre plusieurs "
La fin n'est pas très
claire mais le reste est parfaitement bien écrit en français
de l'époque.
Ainsi cet épisode de la vie de Jacques
Cur montre plusieurs éléments sur cet homme
:
- La parole donnée, même
à des Infidèles doit être respectée.
Il était semble-t-il inflexible, et il pouvait utiliser
tous les arguments pour arriver à ses fins, même
avec des menaces.
- Jacques Cur a des amis mais aussi des capitaines qu'il
n'apprécie pas trop et qui lui rendent bien. Ce sera une
raison supplémentaire pour que s'instaure entre cet homme
du Berry et les gens du Languedoc une méfiance qui ira
très loin, lorsque le vent aura tourné.
- Il divise aussi le pays entre ceux qui feront tout pour maintenir
la chrétienté, même au prix de se renier
et d'autres, plus réalistes ou plus mercantiles qui mettront
la " réal politique " comme l'on ne disait pas
à l'époque, au premier plan. Il était assez
visionnaire sur le commerce et les échanges.
- Enfin, c'était bien un homme de son temps, un aventurier
de génie, entrepreneur, actif et parfois cruel, un des
grands hommes de Bourges et de la France.
Ouvrages consultés :
Les Affaires de Jacques Cur par Michel
Mollat
La chute de Jacques Cur par Robert Guillot
Jacques Cur par Jacques Heers.