CETTE CONFERENCE
DU PROFESSEUR ROBERT
GUILLOT EN MAI 2003,
AU PALAIS JACQUES COEUR s'intitulait "JACQUES COEUR,
LES DOCUMENTS D'ABORD", dans le cadre des Conférences
des Amis de Jacques Cur.avec le soucis de reprendre avec
précision ce que nous disaient les documents authentiques.
Je suis
heureux de vous saluer ce soir ; c'est évidemment un honneur
pour moi d'être accueilli ici dans la maison de l'Argentier
par monsieur Buisson et d'y prendre la parole à l'invitation
de madame Narboux.
Je voudrais d'abord m'expliquer sur
le choix de cet intitulé :
"Jacques Cur, les documents d'abord".
Je partirais de 2 constats : le premier concerne la démarche
même de l'historien ; pour dire cette chose le plus simplement
possible cette démarche procède d'une confrontation
entre une série d'hypothèses forcément subjectives,
un modèle lié aux idées du temps et les
documents authentiques, les sources de l'historien.
Les sources de l'historien,
L'important c'est de ne pas tordre les
sources pour conforter l'image que l'on se fait de tel personnage
ou de telle situation. Le deuxième constat, c'est
l'insuffisance documentaire que nous allons rencontrer d'une
manière générale au cours du Moyen Age.
Il y a une formule de Georges Duby qui
est très bonne, que je citerais volontiers c'est celle-ci,
Georges Duby écrit :
"Les documents dont disposent
les médiévistes sont comme les épaves surnageant
d'un complet naufrage".
Cette formule est tout à fait exacte en
ce qui concerne Jacques Cur, et cette insuffisance documentaire
est restée longtemps particulièrement flagrante
au point d'avoir découragé d'éminents spécialistes
du XV e siècle d'entreprendre une étude scientifique
de l'Argentier.
Je prendrais quelques exemple pour illustrer cette déficience,
d'abord premier exemple: De la correspondance d'affaire de Jacques
Cur nous ne connaissons qu'une dizaine de lettres autographes
et dans le document
2.
Vous allez pourvoir apercevoir une partie d'une de ces lettres
et ce qui est intéressant d'observer ici, c'est la qualité de la signature
de Jacques Cur. On pourra
la comparer tout à l'heure à la signature du roi
Charles VII.
Ensuite, autre élément, les pièces originales
de son procès sont perdues, alors que les pièces
du procès de Jeanne d'Arc, sensiblement contemporain,
sont connues par les traces qui ont été recueillies
au moment du procès de réhabilitation en 1456.
Au total jusque dans les années
1950 la moisson que l'on trouvait était particulièrement
mince, qu'il s'agisse des écrits de Jacques Cur,
de ses propos, de la conduite de ses affaires ou des témoignages
directes sur sa personne.
Quelle explication donner ?
Et bien le déficit documentaire se situait d'abord aux
sources, c'est à dire que Jacques Cur écrivait
peu ; par exemple il n'y avait pas de registre pour la tenue
des comptes d'exploitation des mines du Lyonnais, mines de
plomb argentifère, mines de cuivre à l'époque
de Jacques Cur.
Jacques Cur se déplaçait lui-même et
venait vérifier sur place si les choses allaient bien,
c'est un premier élément. Un deuxième élément,
toujours à l'origine c'est que dès la nouvelle
de son arrestation, ses familiers, ses commis ont dissimulé
des lots extrêmement importants de papiers d'affaires soit
à Montpellier même, soit et c'est plus grave pour
nous, à l'extérieur , c'est à dire que des
quantités énormes de documents ont été
expédiés à Barcelone ou à Marseille
qui n'était pas dans le royaume ou à Naples, par
des gens extrêmement dévoués, des facteurs
dont nous retrouverons tout à l'heure les noms, je voudrais
citer déjà deux d'entre eux, Jean de Village qui
est bien connu chez vous ici, et par exemple aussi Antoine Noir.
Donc tout ça concerne l'époque
de Jacques Cur, mais beaucoup plus importantes aussi les
difficultés qui sont apparues à cause des malheurs
des temps et dans ce domaine des catastrophes se sont abattues,
sur ce qui pouvait rester des archives de Jacques Cur.
La première, vous la connaissez bien, c'est l'incendie à Bourges
de 1487 qui a détruit toute
une partie de la ville et qui a entraîné la perte
d'archives municipales qui auraient été très
précieuses. Autre élément dont il faut tenir
compte, plus près de nous cette fois-ci, c'est en 1871
ici même à Bourges la destruction d'archives de
l'archevêché, et surtout à Paris l'incendie
du bâtiment de la Cour des Comptes au moment de la Commune
en 1871, or, il se trouve que c'est vers cette juridiction, qu'avait
été dirigés des lots extrêmement importants
de documents venant de l'Argenterie de Tours.
Et le malheur a continué, car ce
qui pouvait subsister et qui restait de la Cour des Comptes avait
été déposé dans les caves du pavillon
de Marsan or, l'inondation de la Seine en 1910 est passée
par là
.Et donc a achevé de détruire
ce qui était conservé.
Eut égard à ces conditions finalement
très difficiles, la question qui se pose est donc la suivante:
comment approcher l'Argentier dont nous avons les armes parlantes,
cur et coquille saint Jacques dès l'abord de
la maison et on va le voir dans le documents 4.
Vous verrez en sortant, les curs
qui sont disposés tout au tour du marteau ainsi
que les coquilles. D'ailleurs le marteau n'est plus celui que
nous connaissons maintenant il a disparu. En schématisant,
on pourrait identifier finalement dans l'historiographie de Jacques
Cur, deux grands courants que je vais aborder.
Le premier courant est représenté
par les récits, les romans historiques, l'évocation
finalement d'un destin romanesque qui fait appel à l'imaginaire
et au merveilleux ; je rangerais
dans cette première série ce que nous savons des
légendes, ensuite les romans historiques, la création
théâtrale qui est importante, enfin je dirais un
mot de l'ésotérisme.
En ce qui concerne la
légende, de multiples légendes
ont couru à propos de Jacques Cur, ici même
je crois que Honoré de Balzac a recueilli une légende
mettant en évidence des souterrains conduisant de l'Hôtel
Jacques Cur où nous sommes jusqu'à une tour
située à l'extérieur, mais je voudrais
, plutôt puisqu'elle me semble plus intéressante,
vous relater une légende recueillie en Roannais où
Jacques Cur avait des biens importants et vous verrez que
cette légende est tout à fait teintée d'actualisation
en quelque sorte. La voici :
La légende du Roannais
."Jacques Joli Cur", on
l'appelle ainsi, fils d'un marchand de laine de Bourges ayant
entrepris de faire son tour de France, s'arrête un jour
dans la Côte roannaise dans une petite bourgade qui s'appelle
Saint Haôn le Châtel ; là il apprend que près
d'un grand étang, le grand étang de Boisy, vivait
un serpent dont la tête s'ornait d'une bague magique, qu'il
quittait chaque soir. Dissimulé dans un tonneau, nous
sommes dans un pays viticole, Jacques s'empare de cet anneau
qui changeait en or tout ce qu'il trouvait ; il devint très
riche. Il fit construire le château de Boisy, faisait naviguer
des bateaux sur la Loire et creuser des mines pour trouver encore
plus d'or jusqu'au "moment catastrophe" ou le roi devient
jaloux de sa fortune, promet de grandes récompenses, et
vous allez voir la petite touche d'anticléricalisme, promet
de grandes récompenses aux moines d'un bourg voisin celui
d'Ambierle si on lui livrait Jacques Cur ce que les moines
firent après s'être emparés de Jacques Cur
par trahison évidemment.
Voilà une légende qui illustre ce premier élément.
Pour l'essentiel, ce premier courant est
représenté par de multiples récits ou romans
historiques, on m'a dit qu'il y en avait des dizaines, répétés,
recopiés à travers les temps. Ils s'alimentent
à une sorte de vulgate qui a pris naissance au XVIII e
siècle à partir de chroniques du XV e siècle
et de fonds de jurisprudence. Ce courant charrie évidemment
beaucoup d'approximations je vous en donne quelques unes, la
première qu'il faut dénoncer avec une certaine
vigueur, c'est celle de Grand Argentier. Surintendant des finances,
grand banquier, prince des marchands, fils d'un orfèvre
de Bourges, un grand bourgeois victime de l'absolutisme, d'un
procès inique...
Grand Argentier ou Ministre des finances
?
Grand Argentier ou Ministre des Finances,
Surintendant des Finances, nous verrons plus tard ce qu'il en
est. Autre déviation, qui a eu cours pendant très
longtemps, c'est l'idée que Jacques Cur était
un personnage sans aucune éducation, à partir d'une
formule d'un chroniqueur du XV e siècle, Thomas Basin.
Autre déviation qu'il faut dénoncer, concernant
la fin de Jacques Cur, c'est à dire ses séjours
dorés après la croisade, à Chypre épousant
une princesse grecque
etc.
Au total, vous voyez des polygraphes qui
n'apportent pas grand chose à la connaissance véritable
de Jacques Cur. Alors cela produit des ouvrages agréables
à lire, tout à fait d'accord. Mais éloignés
des sources authentiques et dans lesquels la subjectivité
l'emporte très souvent avec les dérives inévitables
que je viens de citer.
Beaucoup plus intéressant à
mon avis, pour moi, c'est la création théâtrale,
RETOUR
HAUT DE PAGE
La création théâtrale
Et il se trouve que Jacques Cur, par son
destin dramatique, ses épisodes extraordinaires a suscité
l'intérêt d'auteurs dramatiques et vous êtes
biens placés ici à Bourges pour le savoir, puisque
la pièce d'Audiberti, "Cur à Cuir" a été créé ici même
à la comédie de Bourges avec Gabriel Monnet que
vous allez voir dans le document 6.
C'était en 1967, Gabriel Monnet
en Jacques Cur montrant à son épouse Macée
de Léodepart les plans du Palais.
Puis il y a eu une autre création théâtrale
en 1990 ; un auteur méridional cette fois-ci, Guy Vassal,
du Théâtre Populaire des Cévennes a monté
ici à Bourges une pièce intitulée tout simplement
"le procès de Jacques Cur". Avec
un certain succès.
J'arrive maintenant au quatrième
point de cette première grande série d'approches
de Jacques Cur, c'est l'ésotérisme.
L'ésotérisme
Je dirais que là, c'est une autre
paire de manche parce que l'ésotérisme part de
documents, effectivement, mais aboutit à des conclusions
qui ne sont pas acceptées par tous les historiens. Il
faut dire que par son caractère secret, son goût
des symboles, Jacques Cur peut très bien se prêter
à de telles interprétations. Elles ont été
abordées par des propositions d'explication de l'emblématiques
des demeures de Jacques Cur par des auteurs comme Christiane
Paloux ici même à Bourges et quelques autres.
Alors je donnerais seulement un exemple
pour illustrer cet aspect là des choses, c'est un sigle
qui est resté à la fois énigmatique et célèbre
et qui apparaît dans la pierre à l'Hôtel Jacques
Cur, qui apparaît également dans un vitrail
de la sacristie de la cathédrale, c'est ce sigle RG.
Il se trouve que nous le connaissons également dans la
description de la décoration de la chambre même
de Jacques Cur à l'étage, c'est à
dire l'ensemble de taffetas brodé et nous connaissons
cette description de la chambre et de sa décoration grâce
au témoignage de celui qui avait la charge de gérer
les affaires de l'Hôtel et qui témoigne devant quelqu'un
dont nous allons beaucoup reparler et qui est le procureur du
roi qui était chargé de mettre la main sur les
biens de Jacques Cur, il s'agit de Jean Dauvet.
Ce sera l'occasion de voir ce qui est un des documents
essentiels pour la connaissance de Jacques Cur, c'est à
dire le journal du procureur Dauvet. Donc c'est le document N°
5.
Je vous indique l'emplacement du "RG" et là
commence la déposition que je vais vous lire. La déposition
de ce dépensier de l'Hôtel Jacques Cur qui
s'appelle Guillot Tipault et non pas Trépan comme on a
pu le dire. Voilà ce qu'il déclare :
" interrogé sur ce qu'est devenu une chambre
de taffetas rouge, brodée à RG, et à angelote,
il dit qu'il "a bien vu autrefois en l'hôtel et fut
porté à Rome" (ce fut la grande ambassade
de 1448 ) et depuis il fut rapporté en son dit hôtel
et fut tendu aux noces de maître Jean Thierry dans la chambre
des Galées". En dehors de ce RG sur lequel
je m'explique dans un instant, il y a aussi un élément
très important qui concerne la manière dont s'établissait
une confiance extrême entre Jacques Cur et certains
de ses commis, Jean Thierry était l'un de ses clercs et
la noce a été célébré ici
dans l'Hôtel même de son patron.
Alors que dire sur "RG"
On peut dire à peu près ceci,
c'est que la plupart du temps on l'interprète comme le
sigle de "Réal Guerdon" c'est à dire
"protection royale" ou "royale récompense"
mais les alchimistes estiment que l'on peut aussi le décrypter
comme "Recipe G" c'est à dire "prend G",
G étant le symbole de la matière première
de l'alchimiste, c'est à dire l'antimoine.
Toujours est-il que de fait, le milieu
des alchimistes n'était pas inconnu de Jacques Cur,
et on peut se référer ici à une lettre dont
l'original est perdu, lettre dans laquelle Jacques Cur
relate la fabrication nocturne de lingots d'or à partir
de laiton doré à l'hôtellerie de l'Homme
Sauvage à Saint Benoît sur Loire.
Il y avait donc
des contacts aussi avec le milieu des alchimistes.
J'en ai terminé avec ce premier
courant dans lequel je ne me situe pas vraiment, vous l'avez
compris.
L'autre courant, bien affirmé à
partir du milieu du XIX e siècle a été alimenté
par des informations fournies par la recherche de documents de
première main. Laquelle constitue la première étape
de la méthode historique. Et il faut voir dans cette recherche
l'influence de l'Ecole des Chartes (1821) qui a produit un certain
nombre d'ouvrages dont la base archivistique est certes incomplète,
mais qui était parfaitement solide, je citerais seulement
un nom, qui est celui du marquis Du Fresne de Beaucourt, c'est
à dire un des grands historiens de Charles VII.
Dans le cas de Jacques Cur l'exploration des archives s'est
poursuivi dans ce milieu du XIXe siècle mais elle a été
rendue très difficile pour 2 raisons : d'abord la dispersion
des biens de l'Argentier depuis Bruges jusqu'à Montpellier,
depuis la vallée de la Loire jusqu'à Genève
et d'autre part surtout la multiplication de ses intérêts
dans l'ensemble du bassin méditerranéen, depuis
Damas jusqu'à Barcelone en passant par Alexandrie, Rhodes
Donc il y a eu un très long processus
d'exploration et dans ce processus un véritable tournant
a été réalisé avec la publication
du journal du procureur Dauvet par M. Mollat qui était
alors professeur à la Sorbonne.
Ce journal tenu par le procureur du roi au Parlement de Paris
qui a procédé pendant 4 ans çà la
saisie et à la vente des biens de Jacques Cur a
cela représente un millier de pages qui alimentent pratiquement
toutes les recherches que nous pouvons faire maintenant sur Jacques
Cur et qui alimente la synthèse que M. Mollat a
publiée et vous allez voir que le délai est immense,
1952 la publication de Jean Dauvet, il a fallut plus de 30 ans
à M. Mollat pour arriver à cette synthèse
qui date de 1988 et qui est ce livre, connu et apprécié:
"Jacques Cur où l'esprit d'entreprise
au XV e siècle".
Je voudrais citer un exemple qui est particulièrement
significatif et intéressant c'est la découverte
de l'inscription de Jacques Cur de son principal facteur,
de son alter ego, Guillaume de Varye et de l'un des fils de Jacques
Cur, Ravant, à l'art de la soie, vous savez que
nous disons la corporation à partir du XVIII e siècle,
l'art de la soie de Florence qui est l'un des 6 arts majeurs
de la ville, c'est à dire qui avait une importance politique
dans cette ville de Florence.
Au plan local d'autres avancées ont été
réalisées, et je voudrais rendre hommage ici à
Monsieur Jean Yves Ribault à la fois pour les avancées
qu'il a fait réaliser dans la connaissance du milieu familial
de l'Argentier, pour le repérage de ses biens à
Bourges, ainsi que pour la mise en évidence de ses relations
avec les Chapitres de la Cathédrale et de la Sainte Chapelle
enfin la description de l'ambiance culturelle qu'il a connu.
De cette ambiance, nous avons le reflet
avec le décor même de cette grande maison qui constitue
une autre source documentaire importante, à rapprocher
de l'uvre de deux miniaturistes, enlumineurs, d'abord,
issus de votre Ville, Jean Colomb, et le tourangeau Jean Fouquet.
C'est précisément dans les
actes de ce procès et dans la condamnation que se trouve
le gisement documentaire, donnant l'éclairage le plus
précis sur le personnage et ses affaires.
Pour ma part, j'ai été suffisamment heureux pour
retrouver aux Archives du Duché de Roannais, donc à
Roanne, une copie des derniers interrogatoires de Jacques Cur
à Tours au début de 1453.
Et pour pouvoir exploiter aussi pour la première fois
les registres d'audience et les procès verbaux d'adjudication
dans la juridiction chargée du domaine du roi, la Cour
du Trésor.
Nous avons maintenant la possibilité
de tester un peu plus sûrement un certain nombre d'hypothèses,
de cerner des réalités. De cette confrontation
devraient ressortir les réponses à 3 grandes séries
de questions :
D'abord, quels sont les fondements d'une telle réussite
? A-t-on à faire à un entrepreneur de grande envergure
? A un grand commis du pouvoir royal ?
Quelles sont les raisons de la catastrophe de 1451, de sa brutalité,
Et enfin comment caractériser
les formes prises par son procès ?
Et bien la réussite de Jacques Cur
qui fait de lui l'homme d'affaire le plus important du Moyen
Age français paraît s'inscrire assez précisément
dans le cadre du relèvement du Royaume vers la fin de
la guerre de 100 ans, c'est à dire que nous avons à
introduire ici une périodisation.
Alors périodisation, ça veut dire que je suis amené
à citer un certain nombre de dates, enfin, elles se tiennent
entre deux événements que vous connaissez tous
depuis l'école primaire, le premier, c'est la délivrance
d'Orléans, par Jeanne d'Arc en 1429, (8 mai) et le deuxième,
c'est la prise de Constantinople par les Turcs en 1453, et un
hasard de l'Histoire veut que ce soit également le 29
mai, la date de condamnation de Jacques Cur.
Jacques Cur de 1429
à 1453
Cette périodisation permet d'introduire
une première phase avec pour terme les années 1440.
Jacques Cur a alors 40 ans, et il vient d'être nommé
à la tête de ce service financier de l'Hôtel
du roi que l'on appelle l'Argenterie. On l'appelle donc l'Argentier mais il n'a rien
à voir avec un ministre des finances.
Que peut-on retenir de ses activités
jusque là ? Pour l'essentiel, nous le voyons tenter sa
chance dans la fabrication des monnaies, et des premières
tentatives intéressantes dans la marchandise.
Il se trouve que son nom apparaît pour la première
fois dans les documents en 1429, qui est donc l'année
du sacre de Charles VII. Il s'agit d'une grâce royale
qui a été accordée pour une fraude dont
Jacques Cur et trois associés se sont rendus coupables
lors de la frappe de monnaies royales à l'atelier monétaire
de Bourges dont ils étaient les fermiers. Ils étaient
les fermiers de cet hôtel des monnaies qui appartenait
à l'évêque de Clermont..
Cet épisode d'ailleurs ne remet pas en cause les fonctions
de Jacques Cur puisqu'il garde la maîtrise de cet
atelier jusqu'en 1436 avant un court passage à la monnaie
de Paris, qui venait d'être libérée de l'occupation
anglaise. C'est le premier aspect.
Le deuxième
aspect, c'est que nous le retrouvons comme partenaire de marchands
de Bourges, ce sont les frères Godart dans une société
commerciale pour la fourniture de la cour du roi qui était
installée en cette ville : il s'agissait de marchandises
de luxe et de produits importés du Levant. Lui-même
avait fait en 1432 le voyage du Moyen-Orient en compagnie de
marchands languedociens. Nous sommes renseignés sur
le naufrage du retour devant Calvi et d'une manière très
inattendue, nous avons un témoignage sur son passage à
Damas, dans le récit d'un écuyer du duc de Bourgogne
Philippe le Bon qui avait été envoyé par
son maître dans cette région, au moment où
il y avait déjà des bruits de croisade et cet écuyer
s'appelle Bertrandon de la Broquière document 9
Le duc de Bourgogne qui est en train d'assiéger
une ville du nord de la Côte d'Or (Aube), un peu avant
la signature de la paix d'Arras qui met fin au conflit entre
le roi et le duc de Bourgogne et il reçoit de ce Bertrandon
de la Broquière dont le costume oriental est particulièrement
frappant, vraisemblablement le récit qu'il a fait de son
voyage et sans doute le volume du Coran (miniature de Jean Le
Tavernier de 1456) et voici ce qu'il déclare :
" Quant
nous fûmes venus à Damas, nous y trouvâmes
plusieurs marchands français, vénitiens, génois,
florentins et catalans, entre lesquels il y avait un français
nommé Jacques Cur qui depuis a grande autorité
en France et a été Argentier du roi".
Lequel nous dit que la galée de Narbonne sur laquelle
Jacques Cur avait navigué, qui était allée
en Alexandrie et devait revenir à Beyrouth, aidait lesdits
marchands français pour aller acheter denrées comme
épices et autres choses pour mettre en ladite galée".
De cette période de formation et
d'exploration des conditions du grand commerce qui se clos au
moment où la paix d'Arras en 1435 entre la France et la
Bourgogne, commence à faire sentir ses effets nous pouvons
retenir un certain nombre de caractéristiques, 2 ou 3
qui sont les suivantes :
D'abord apparaît déjà
chez Jacques Cur l'art de profiter des positions déjà
acquises par ceux avec lesquels il s'associe, c'est le cas de
la monnaie de Bourges, c'est le cas de ces marchands languedociens.
Ensuite, c'est le soucis d'atteindre le
plus directement possible les lieux en approvisionnement en marchandises
coûteuses
Et enfin le troisième aspect qui
va perdurer c'est le cumul des fonctions publiques ou para publiques
et du négoce.
Jacques Cur de 1440
à 1450
Si l'on vient maintenant à la deuxième
partie, c'est à dire 1440 - 1450 ce qui frappe d'abord,
c'est en un temps très court, l'ascension fulgurante
de celui que l'on appelle dorénavant Monseigneur l'Argentier.
Il est annobli en 1441, puis entrant au Conseil du souverain
et il se présente de plus en plus comme l'homme du roi.
L'homme du roi, je pense qu'il ne serait pas mauvais dans cette
année anniversaire de 1403, de s'arrêter un instant
sur l'étonnant destin aussi de Charles VII.
Charles VII était
l'avant dernier fils de Charles VI et d'Isabeau de Bavière
vous vous souvenez qu'il était compromis dans l'assassinat
du duc de Bourgogne Jean Sans Peur en 1419, qu'il avait été
déshérité et banni par le traité
de Troyes conclu avec les anglais, entre Philippe le Bon et le
roi d'Angleterre Henri V en 1420 . Il ne conservait plus guère
que le tiers du royaume à l'issue de l'aventure de Jeanne
d'Arc. Cependant en une dizaine d'années, ce prince, velléitaire
et sceptique va faire place à un souverain particulièrement
actif, ordonné et méthodique, on a dit souvent
un autre Charles V.
Alors, au contraire de Jacques Cur, ses traits
nous sont parfaitement connus et je vais vous les monter dans
quelques documents. Le premier, dans un document n° 10 représente à une date précise
et bien connue, c'est le 8 juin 1442, c'est au début d'une
première tentative de reconquête de la Guyenne,
l'entrée solennelle du roi à Toulouse où
sont réunis les Etats du Languedoc, on aura l'occasion
de dire que la monarchie tire une partie extrêmement importante
de ses revenus du Languedoc, donc le roi très souvent
se déplace et là, il fait cette entrée solennelle
Deux remarques à faire, la première
c'est que nous avons un véritable portrait et vous voyez
la longueur du nez de Charles VII que nous reverrons tout à
l'heure, et la deuxième caractéristique, c'est
cette entrée à grand spectacle qui prend la dimension
d'une cérémonie liturgique. Le roi a été
sacré à Reims le 17 juillet 1429 où il a
reçu l'onction qui le rend légitime ; il s'avance
sous un dais rouge qui rappelle tout à fait celui qui
protège le Saint Sacrement lors de la procession de la
Fête-Dieu et il est entouré ici par le les "capitouls"
de Toulouse donc des gens de l'administration municipale , manteau
traditionnel, mais ce qui est intéressant ici, c'est que
parmi ces "capitouls", figure vraisemblablement un
personnage dont nous allons reparler : c'est un des ennemis jurés
de Jacques Cur, un florentin établi à Toulouse,
il y est "capitoul" et s'appelle Otto Castellani .
La bataille de Formigny
L'événement que l'on pourrait
retenir comme véritable symbole de la renaissance et du
relèvement du royaume, c'est une bataille dans le fond
qui passe inaperçue c'est la bataille de Formigny près
de Bayeux, dans la reconquête de la Normandie le 15 avril
1450 et qui est une sorte d'Azincourt à rebours puisque
les pertes anglaises ayant été estimées
à 80% des effectifs engagés, 4000 tués,
1500 prisonniers c'est considérable. Ce succès
éclatant qui permet le recouvrement de la Normandie était
du à la capacité du roi à maîtriser
les atouts dont il pouvait disposerr. Ces atouts étaient
de deux ordres face à un camp anglais un peu désorganisé,
et où les garnisons étaient un peu émiettées,
pas très nombreuses, mal payées, parce que le Parlement
de Londres rechignait et mesurait chichement son aide.
Charles VII pouvait compter à la
fois sur des ressources et des hommes particulièrement
substantiels ce qui lui a permis finalement de l'emporter sur
une monarchie qui n'est plus la monarchie d'Henri V Lancastre
le vainqueur d'Azincourt mais qui était déjà
une monarchie contestée par la maison d'York, avec Richard
duc d'York. Nous sommes à la veille de la fameuse guerre
des deux roses en Angleterre.
Les ressources, et bien les recettes annuelles
de la couronne montent à ce moment là à
peut près trois millions de livres tournois. Ceci grâce
à trois impôts permanents, les aides, la gabelle,
la taille et les subsides votés par les Etats provinciaux,
avec pour pourvoyeur principal, notamment les états de
Languedoc et je dirais au passage que quelqu'un en a profité,
pas seulement Jacques Cur mais avant lui et pour le bien
du patrimoine, c'est le duc de Berry évidemment, Jean
de Berry, qui était Lieutenant général en
Languedoc.
Donc des ressources, des hommes, il y a d'abord,
profitant des Trêves avec l'anglais qui se situe entre
1445 et 1449, la mise en place d'un début d'armée
permanente avec une cavalerie bien organisée, ce sont
au total 15 Compagnies d'ordonnance, ( 100 "lances"de
6 cavaliers, plus des hommes à pied). Ce sont les grands
archets et il faudrait ajouter les contingents des vassaux, c'est
par ailleurs Charles VII passé à la postérité
sous le nom de "Bien Servi" et parmi les gens qui l'on
bien servi, figurent deux personnages que nous allons voir, document 11.
Ce document montre la bataille de Formigny,
avec les anglais et de l'autre côté, des bretons
avec leurs hermines, et des contingents qui sont conduits par
le fils du duc de Bourbon qui va être bientôt le
gendre du roi de France, le comte de Clermont que nous allons
retrouver dans le procès et vous voyez ici l'écu
de France qui est paré par un bâton "rouge",
bâton de gueule.
Celui qui conduisait le contingent breton
est le connétable de France, le connétable de
Richemont qui sera d'ailleurs duc de Bretagne en 1457, celui
qui était surnommé "le sanglier" qui
était un dur, prisonnier à Azincourt, éloigné
un instant du roi par une cabale conduite par un autre favori
qui s'appelle La Trémoille en 1427, puis qui reprend le
dessus en 1433, qui a négocié la paix d'Arras en
1435 avec les Bourguignon, c'est lui qui a libéré
Paris en 1436 conduisant les contingents bretons à Formigny
et c'est lui qui, un peu plus tôt, avait mis fin à
cette révolte de nobles que l'on appelle "la Praguerie",
donc quelqu'un qui a été présent et très
fidèle au roi de France.
Et c'est donc le Très Victorieux
Charles VII que Jean Fouquet a représenté dans
deux tableaux célèbres. Dans le manuscrit du Livre
d'Heures d'Etienne Chevalier, Trésorier de France (au
musée Condé à Chantilly), une Adoration
des Mages avec le roi et derrière lui ses deux fils c'est
à dire le futur Louis de France puis l'autre fils, plus
jeune Charles qui sera duc de Berry à partir de 1462.
Ce qui est intéressant dans ce travail de Fouquet , c'est
d'abord le réalisme du visage du souverain que vous reconnaissez
bien, le rôle des couleurs royales, rose, blanc, vert,
que l'on retrouvera à maintes reprises, la richesse de
l'équipement de certains soldats dans lesquels nous reconnaissons
les écossais de la garde royale. Ces écossais portent
dessus leur cuirasse cette tunique que l'on appelle un "roqueton"
et qui est brodée de perles. Les écossais dont
nous connaissons le rôle dans l'organisation de la Septaine
de Bourges et pendant les dernières campagnes de Guyenne
avec Robin Petit-Loup. Sur cette tunique, figure enfin un des
emblèmes de Charles VII qui est l'iris, on voit un peu
partout cette fleur dans l'emblématique de Charles VII.
Le deuxième grand portrait que vous connaissez
bien, c'est celui du document 13 qui a été à Bourges pendant
longtemps, jusqu'à la démolition de la Sainte Chapelle
de Bourges en 1757, c'est ce portrait qui est le premier portrait
indépendant à mi-corps que l'on connaisse dans
l'histoire de la peinture occidentale. Il revêt un
double aspect: à la fois portrait officiel, c'est l'effigie
majestueuse du souverain et également représentation
tout à fait réaliste à la manière
des peintres flamands..
Les publicistes contemporains se sont finalement bien accommodés
du réalisme de ce portrait, c'est la mauvaise mine, la
mauvaise santé du roi. C'est ce portrait d'un vêtement
à la mode, Ses épaules rembourrées et les
analyses précises qui ont été effectuées
par un laboratoire montrent que le peintre a finalement agrandit
ce vêtement à la mode pour donner plus d'importance
au personnage et pour être à la mode de ce milieu
du XV e siècle, c'est le maheutre
L'effigie majestueuse du souverain dont
le buste en triangle renversé s'inscrit dans le losange
des rideaux symétriquement écartés, symbole
de majesté, tout comme l'azur rehaussé d'or du
chapeau. On note aussi un visage aux traits maussades, à
l'immense nez plongeant d'où se dégage une impression
de lassitude, correspondant à un personnage qui finira
par se croire envoûté par ses ennemis..
C'est précisément dans l'entourage
proche de ce souverain que nous retrouvons Jacques Cur
au moment de l'entrée du roi dans Rouen libéré
le 10 novembre 1449, il est dans le grand cortège. Jacques Cur a cette date
avait réunit la plus grande fortune privée française
de tout le XV e siècle.
Et on peut se demander quelles sont les bases de cette fortune.
La fortune de Jacques Cur
Les plus rémunératrices de
ses activités se situaient à Montpellier et dans
sa région, nous avons ici un témoignage qui est
la réception fastueuse dans son Hôtel de Montpellier
par Jacques Cur d'un autre écuyer du duc de Bourgogne
Philippe le Bon. Il aimait beaucoup ce genre de compagnie c'est
un personnage qui est un petit peu isolé dans ce XVe siècle,
il aurait été beaucoup plus à sa place à
l'époque des grands tournois de chevalerie du XIII e siècle
celui qui s'appelle Jacques de Lalaing " le bon Chevalier".
Je vais vous montrer la maison de Jacques Cur
à Montpellier cela va vous donner une idée de cette
demeure(document
15), gravure sur bois de
Sébastien Munster, on retient surtout de quelque chose
qui est approximatif évidemment, c'est cette grande tour,
haute de 25 mètres, cette demeure se situait dans une
rue que l'on connaît très bien qui s'appelait à
l'époque la rue Embouque d'Or c'est actuellement la rue
des Trésoriers de France.
Dans ce Montpellier, Jacques Cur avait fait construire
également une loge des marchands, détruite actuellement,
et qui est sans doute comparable à la loge que l'on voit
à Perpignan, plus une grande fontaine ; c'est dans ce
Languedoc que Jacques Cur avait donc trouvé les
moyens les plus considérables pour échapper à
une difficulté qui frappait pratiquement tous les gens
de négoce à l'époque et les gens de l'administration
c'est à dire les défaut de liquidité pécuniaire.
Selon une formule extrêmement heureuse
de M Mollat que l'on peut retenir, on peut dire que pour Jacques
Cur, tout se passait comme si il avait un compte courant
ouvert en permanence sur les finances du Languedoc, cela
veut dire ceci : il prélevait sur les recettes fiscales
de la province comme commissaire du roi auprès des Etats
et c'était lui qui était chargé d'aller
rechercher pour le roi ce que les Etats votaient tous les ans
ou tous les deux ans et il prélevait au passage soit directement
soit par l'intermédiaire de ses collaborateurs car l'administration
financière du Languedoc était véritablement
truffée par des gens qui étaient à sa solde,
ils étaient extrêmement nombreux.
Pour prendre un seul exemple, Guillaume de Varie était
le contrôleur général de ces finances. Il
y avait ensuite, toujours tiré du Languedoc, des ressources
de la ferme des droits perçus à l'occasion des
foires de Pézenas ; il y avait les gains réalisés
dans le trafic du sel le long du Rhône venant des salines
royales de la petite Camargue et là tout allait bien puisque
Jacques Cur était visiteur général
des gabelles
Il y avait surtout enfin les bénéfices
tirés des voyages de ses galées provenant de l'Orient,
du Magreb ou des rivages chrétiens de la Méditerrannée
occidentale et touchant d'abord à Aigues Mortes et ensuite
à Marseille.
Les bateaux de Jacques Coeur
L'évocation de l'Orient est aussi
très caractéristique de la décoration de
cette maison ; c'est le document 16
que vous connaissez, et puis il
y a également avec des documents 17 et 18, la représentation des navires de Jacques
Cur ; il y en a deux, d'abord ce petit bâtiment qui
semble surtout un bâtiment armé pour la guerre et
pas tellement un bâtiment de commerce et un vitrail, une
grosse nef qui porte les armes de Jacques Cur je m'arrêterais
là ; pour le détail technique de ces bateaux qui
étaient au nombre de 4 principaux, il se trouve que M.
Mollat par son environnement familial est sans doute le plus
grand connaisseur français des bateaux au Moyen Age, donc
je vous y renvoie. Ce qu'il faut surtout noter, c'est que ces
bateaux bénéficiaient du monopole royal d'importation
des produits venant d'Orient.; les épices en particulier,
On peut ajouter quand même ceci, c'est que ces bateaux
étaient certainement des bateaux d'assez faible tonnage,
100, 200 tonnes de port, autrement dit, rien de commun avec les
grands bateaux génois qui atteignaient 1000 tonnes et
davantage.
Donc au total, on voit
déjà apparaître ici les réserves de
certains historiens à propos du rôle d'armateur
ou de grand commerçant et grand marchand de Jacques Cur.
Rien de commun avec les grandes
firmes vénitiennes ou génoises d'autant qu'il ne
semble pas que ces bateaux aient fait un nombre considérable
de voyages vers l'Orient et la conclusion, c'est que l'on peut
tout à fait bien prendre en considération la thèse
d'un autre très grand historien du Moyen Age, grand spécialiste
de Gênes, Jacques Heers, qui estime que Jacques Cur
n'est peut-être pas cet homme d'affaires que l'on a dit,
qui courrait les chances et les risques d'une entreprise privée,
mais plutôt un commis du roi et de l'Etat, agissant
dans le cadre d'un service public. Si vous voulez une sorte d'énarque
avant la lettre.
En tout cas ce trafic maritime, nous pouvons le
représenter et le cartographier, c'est la carte numéro
19,
Vous voyez comment se présentent les choses, à
partir de ce point de départ, Aigues Mortes, Marseille,
mais également des ports catalans, Collioure appartient
à ce moment là à la Catalogne. Un courant
va se diriger vers Alexandrie en passant par une base qui est
extrêmement importante qui est une sorte d'entrepôts,
une base où s'arrêtent les bateaux, c'est Rhodes,
Jacques Cur avait de bons rapports avec les Hospitaliers
installés à Rhodes. Et ce courant emmène
en direction de l'Orient deux grandes catégories de marchandises,
d'abord, des draps, Jacques Cur profite ici d'une sorte
de changement vestimentaire qui a lieu à ce moment là,
on s'habille avec des draps, ce qui n'était pas le
cas auparavant. Et il emporte en même temps des quantités
importantes d'argent car l'argent fait prime en Orient, l'Orient
et le Moyen Orient manquent d'argent et donc il y a tout intérêt
à transporter de l'argent dans cette direction.
Le commerce de marchandises
de Jacques Cur
Il emporte également des fourrures,
fourrures vairs, pare exemple , "Vair" du corail de
Provence, de Sardaigne, en sens inverse, les bateaux revenant
vers l'Occident transportent évidemment des épices,
transportent de l'or, cette fois-ci, l'or était arrivé
à Alexandrie en provenance du Soudan, du coton, des soieries
et indirectement de l'alun, et il faut préciser quelque
chose qui est intéressant, c'est que toutes cette zone
ci, où se trouve Chio, où mourra Jacques Cur
était interdite pratiquement aux bateaux, notamment aux
bateaux français, les génois se réservant
le monopole de l'alun donc Jacques Cur devait s'alimenter
là, pour une fois indirectement en alun auprès
des génois.
Une tentative malheureuse de laine et de
cuir d'Ecosse qui arrive en très mauvais état à
La Rochelle. Donc Jacques Cur n'insiste pas. Son idée
était de créer à Bruges une base qui, avec
la paix retrouvée du côté de l'Angleterre
aurait permis le développement de ses affaires dans cette
direction.
Tout cela arrivait dans les ports de Méditerranée
en ce qui concerne maintenant au trafic intérieur, nous
allons passer à un autre document N°21, ce document est un peu complexe, je le détaillerais.
Venant des ports méditerranées,
des épices dont je vous parlais avec un centre qui apparaît
ici, Le Puy, par exemple où o,n peut passer également
par Lyon, donc en direction de Bourges et en direction surtout
l'affaire essentielle, car c'est à Tours que se trouvaient
les magasins de l'Argenterie qui recevaient tous ces produits
précieux, dont les familiers du roi étaient friands.
Ces marchandises pouvaient aller ensuite en direction de Bruges,
mais aussi vers Rouen et d'autres points du royaume.
On voit aussi en sens inverse, la descente
des draps de Flandres en direction de la Méditerranée,
l'alimentation en draps également du Berry bien entendu,
le Languedoc, et le long des trois fleuves, la circulation du
sel, le sel qui remontait de Camargue, le sel qui venait de la
baie de Bourgneuf, ici et qui remontait la Loire en direction
par exemple d'Orléans et de Paris et le même trafic
sur le Seine.
L'essentiel de ce trafic était
destiné à l'approvisionnement des magasins de l'Argenterie
qui étaient à Tours puisque
le roi Charles VII s'est plutôt bien fixé dans un
petit château à côté de Tours, le château
de Plessis-les -Tours, à partir de 1444. Et Jacques Cur
était à la fois, ce qui fait un des éléments
essentiels de sa fortune, le fournisseur d'articles de luxe et
celui qui les vendait ensuite aux gens de la Cour, avec des profits
qui étaient sans doute substantiels. Au passage, on
peut noter qu'il s'accommodait de paiements assez originaux.
On sait qu'au moment de la construction de cette maison que le
seigneur d'Aubigny, bien connu, Jean Stuart, qui avait pris des
marchandises à l'Argenterie de Tours a payé directement
sans passer par l'Argenterie. Il a payé Jacques Cur
en fournissant du bois pour la construction de la maison où
nous sommes.
Inversement, bien sûr, ces opérations dans lesquelles
il réalisait des profits et l'on disait qu'il faisait
des profits considérables étaient obérés
par le capital investi mis dans les stocks. Au moment du séquestre,
par exemple, on a retrouvé à Tours, à l'Argenterie,
un millier de pièces de tissu, 6500 pièces de fourrures,
vairs essentiellement, était obérés également
par l'importance des découverts qu'il consentait à
ses clients. Toujours au moment du séquestre, on a relevé
le nom de 200 débiteurs pour une charge globale supérieure
à 100 000 livres tournois.
Pour clore cet aperçu concernant
les affaires de Jacques Cur, plusieurs traits méritent
d'être soulignés; je crois que ce qui fait l'essentiel
du succès de Jacques Cur, c'est l'extraordinaire
activité qu'il déploie. Une énergie
tout à fait considérable, c'est un personnage sans
cesse en mouvement, pour maîtriser la dispersion de ses
affaires, pour s'assurer l'obtention d'offices, d'honneurs ;
aux mentions des charges déjà indiquées
auprès des Etats du Languedoc, visiteur général
des gabelles, il faut ajouter toute une série de missions
diplomatiques à Gênes, auprès du roi d'Aragon
qui était fort important puisqu'il maîtrisait toute
une large partie de la Méditerranée occidentale,
auprès du pape évidemment, avec de très
grandes ambassades, en particulier en 1447, 1448, et voyez c'est
le moment où le statut d'homme du roi commence à
s'imposer véritablement, donc une activité extraordinaire
qui apparaît d'ailleurs en creux avec la médiocrité
semble-t-il de son fils, du seul de ses fils qui ne soit pas
clerc, Ravant Cur un personnage autant qu'on puisse le
saisir, particulièrement fallot.
Deuxième caractéristique,
concernant les aspects techniques de ses affaires, l'accord est
absolument unanime auprès des historiens, pour dire que nous ne trouverons
absolument pas chez lui la sophistication que l'on connaît
dans les entreprises italiennes.
Certes, Jacques Cur connaît
la lettre de change, on a quelques témoignages mais par
exemple, lorsqu'il s'agit de transférer des sommes importantes
pour régler des achats, il n'hésite pas à
confier des sacs remplis de pièces de monnaies tout simplement
à des voituriers qui les acheminent dans telle ou telle
direction, ce qui est archaïque comme système et
absolument impensable dans l'Italie des banquiers .
On note aussi l'association : fabrication,
commerce ou diffusion des produits et ce dont on peu discuter
c'est l'utilisation de formules un peu contemporaines, ( certains
et non des moindres n'ont pas hésité à parler
de concentration verticale à propos de la draperie du
Berry), il avait la production, à propos de la soierie
de Florence et à propos également de la fourniture
armes puisqu'il était ici à Bourges en association
avec des gens ,les frères de Tresse (?) et ils écoulaient
ensuite les armes, d'autant plus facilement d'ailleurs que c'était
la période de la fin de la guerre de 100 ans et qu'il
y avait ces grandes opérations soit en Normandie soit
dans les deux campagnes de Guyenne par lesquelles se termine
la guerre de Cent ans.
Les hommes de Jacques Coeur
Le dernier trait qui mérite d'être
signalé, c'est une gestion des hommes qui l'entourent,
basée sur une confiance qui soude véritablement
les gens autour de lui. On a pu parler à propos de ses
commis, de ses facteurs, d'une véritable équipe
il y a des relations personnelles. Il y a aussi le fait que beaucoup
étaient les berrichons, très nombreux étaient
les gens de Bourges et même les gens qui habitaient dans
la même rue que Jacques Cur. Ce réseau de
solidarité se reflète dans l'ornement de la Chapelle
de la Grant maison : armes de Guillaume de Varie, Pierre Jobert.
Cette solidarité ne s'est pas démentie au moment
de la catastrophe, c'est à dire au moment du déclenchement
du procès. Cette solidarité lui a permis très
souvent d'opérer en sous main par l'intermédiaire
de gens dont il avait la confiance. En sous-main car on disait
que Jacques Cur avait la main trop forte et les gens craignaient
d'avoir à faire directement à Jacques Cur.
On a un autre témoignage à propos des Etats de
Languedoc je voudrais le citer
Jacques Cur procède en termes
durs et exquis, c'est à dire et qu'il use de comminatoire,
dans des négociations délicates comme l'achat de
certains biens, c'étaient des prêtes-noms qu'il
utilisait. De ces prêtes noms, il y a des exemples qui
sont particulièrement nombreux, il y en a d'abord à
l'Hôtel des monnaies de Bourges, il y en a à la
monnaie de Montpellier, il y en a, je vous le disais tout à
l'heure, dans l'administration financière du Languedoc,
il y en a à l'occasion du trafic du sel le long du Rhône
et au moment du procès, Jacques Cur dit qu'il a
fait ça car il n'aurait pas été convenable
que son nom apparaisse directement dans les comptes.
Jacques Cur sur tous
les fronts
Dans toute cette affaire, l'année
1447 marque un véritable tournant, tournant qui est caractérisé
par une sorte d'amplification des activités de Jacques
Cur. Tout d'abord, on estime qu'il fut vraisemblablement
l'instigateur de l'ordonnance du 27 juillet 1447 décidant,
pour la première fois depuis 1370, la frappe de pièces
d'argent de bon aloi ce qui créait ce que l'on a appelé
le GROS de Jacques Cur que vous allez voir maintenant.
La pièce est évidemment un
petit peu usé, j'en ai dans ma poche une autre encore
plus usée que je ne vous montre pas il faut surtout regarder
ce qui se passe en dessous et ces pièces qui sont des
pièces en argent et ce qui est intéressant, c'est que c'est la première
fois depuis 1370 que l'on frappe une pièce de très
bon aloi à 92% d'argent fin. C'est
une pièce qui vaut deux sous, ou 6 deniers tournois et
qui est en quelque sorte le symbole du retour à une monnaie
saine.
Je dirais tout de suite que cette émission est sans grand
rapport à mon avis avec le fait que Jacques Cur
possède des mines de plomb argentifère dans la
région de Lyon à Paimpailly. Ce serait très
tentant de dire, voilà il exploite ses mines et fait frapper
les Gros du roi, non certainement pas.
Par contre, puisque je suis à ce chapitre des mines, ce
que l'on sait sur document c'est que la mine voisine qui était
une mine de cuivre a Chessy dans le Beaujolais, 30 kilomètres
à l'ouest de Lyon a été vraiment exploitée
au moment des dernières opérations militaires en
Guyenne. On connaît par exemple le transport de quantités
de cuivre depuis Lyon jusqu'à Toulouse pour la fabrication
d'armes à feu c'est à dire de couleuvrines utilisées
pour la guerre de Guyenne.
Donc il y a dans ce tournant 1447/1448, d'abord la frappe de
cette pièce. Et c'est surtout le moment et on va revenir
au document
21 où Jacques Cur
est pris d'une sorte de frénésie d'acquisition
de biens fonciers.
Je les ai représenté avec des hachures et vous
voyez qu'ils forment une sorte d'arc depuis La Puisaye, la seigneurie
essentielle étant cette de Saint Fargeau en passant par
le Berry et par Bourges même. Pour le Berry, je détaille
rapidement, la principale, c'est Mennetou Salon, qui valait
quand même 8000 écus, ce qui n'est pas rien, ensuite
Ainay le Vieil, Marmagne Maubranche, Barlieu, Lizy et enfin quelque
chose de moindre importance à Asnières, qui valait
seulement 120 écus. (grange) .
Donc nous disons, Le Puisaye, le Berry,
nous reviendrons sur le cas de Bourges. Ensuite le Bourbonnais,
il se trouve que Jacques Cur était vraisemblablement
originaire d'une famille de Saint-Pourçain sur Sioule,
donc acquisitions dans cette région et enfin, à
l'extrémité de l'arc, l'acquisition de ces seigneuries
proches de Roanne, Boisy et la région de Saint Haon le
Chatel. Il faudra ajouter à tout cela en dehors de Bourges
même, les biens sur lesquels nous allons dire un mot, des
hôtels à Saint-Pourçain sur Sioule, à
Moulins, à Tours, à Lyon. A Lyon dans une rue bien
connue qui est la rue Mercière, à Montpellier rue
Embouque d'Or, à Marseille
etc
Ces opérations étaient souvent menées
à bon compte, Jacques Cur s'attaquait à des
maillons faibles en quelque sorte, il opérait auprès
de gens qui s'étaient endettés au cours de la guerre
de 100 ans. Vous allez voir dans
le document
23,
un personnage du Bourbonnais, prisonnier aux Anglais par trois
fois pour le service du roi, cela lui a coûté plus
de 9000 écus.
C'est quant même assez considérable, c'est proche
de ce que Jeanne d'Arc a coûté lorsqu'elle a été
vendue aux anglais, 10 000 écus. Il est donc ruiné,
Jacques Cur s'approche, met la main sur ses biens; il opère
également de manière très intéressante
lorsqu'il s'agit de biens dotaux, c'est à dire lorsque
un seigneur ruiné a les biens de sa femme. C'est sur les
biens de son épouse que Jacques Cur fait porter
son effort ce qui a été le cas à Roanne.
En Roannais, ça s'est d'ailleurs assez mal passé,
on a le témoignage de la dame qui ne voulait pas vendre,
c'est le cas également de Marmagne Maubranche.
Jacques Cur à
Marseille
Autre élément très
important, dans ce tournant c'est le transfert de sa base d'Aigues-Mortes
à Marseille. A Marseille, cela veut dire en dehors du
royaume, chez le roi René, là où les opérations
portuaires étaient plus aisées, un port profond,
protégé du Mistral par des collines, des magasins
au bord de l'eau et surtout des avantages fiscaux. Alors vous
allez voir le document
22, c'est une scène qui représente une
Marie Madeleine, ici, il se trouve qu'un des bateaux de Jacques
Cur s'appelle La Madeleine, ce qui est intéressant
ici, c'est le port de Marseille, et la maison de Jacques Cur
était sur le quai même, avec de très vastes
entrepôts qui lui permettaient une décharge très
facile des produits, et d'une manière très symbolique,
se trouve ici, le château des Hospitaliers, qui est en
quelque sorte la tête de la ligne qui conduisait à
d'autres bâtiments que les Hospitaliers avaient à
Rhodes.
Donc il s'en va à Marseille, cela va d'ailleurs lui causer
pas mal d'ennuis au moment du déclenchement du procès.
C'est là qu'il installe le plus entreprenant de ses
facteurs, son neveu, Jean de Village, bien connu à Bourges.
Le dernier grand changement, c'est l'achèvement des travaux
de cette "Grande Maison", entrepris en 1443.
Là
aussi il ne faut pas se faire beaucoup d'illusions, Jacques Cur
n'a pas vraiment résidé là où nous
sommes ce soir, un de ses facteur Pierre Jobert dit qu'il ne
" faisait aucune résidence à Bourges ni en
aucun lieu particulier", il circulait sans arrêt,
et c'est l'occasion pour nous, c'est le document 24 de voir quels étaient les biens de Jacques
Cur à Bourges.
Les biens de Jacques Cur
à Bourges
Il y a tout d'abord, le lieu de sa naissance
qui est rue de la Parerie, près de l'Yèvrette dans
le quartier des tanneurs et pelletiers, le père de Jacques
Cur était vraisemblablement l'un d'entre eux, et
dans cette même zone se trouvait des gens qui lui seront
très proches, les Villages, qui étaient des drapiers,
il y a surtout évidemment le voisinage du Palais Ducal
et de la Sainte Chapelle.
En haute de la rue d'Auron, se trouvaient
4 maisons se faisant face à face, deux venant de l'héritage
du père de Jacques Cur, deux venant de l'héritage
du beau-père de Jacques Cur, Léodepart. Jacques
Cur lui-même n'était pas là, il habitait cette maison qui est
dans l'actuelle rue de Linière et il y a été
très longtemps, dans cette
maison qui appartenait à un armurier et qui après
la chute de Jacques Cur a appartenu à nouveau à
un des frères de Trèze (?), armurier.
Et puis il y a la " Grant Maison"
où nous sommes, ici, vous voyez que Jacques Cur
avait aussi des maisons de moindre importance, ou des emplacements
de maisons, comme au niveau de la place Gordaine.
Et également dans cet extérieur,
noté par un point rouge, l'essentiel se situe quant même
dans le haut de la rue d'Auron, la maison qu'il a habité
pendant près de 20 ans, et place Gordaine où l'un
de ses facteurs, Pierre Jobert avait aussi sa maison. Et Jacques
Cur avait là une table de change.
Nous sommes
renseignés évidemment sur ces maisons et notamment
sur cette Grant Maison par les enluminures, et en particulier
par cette enluminure de Bourges en provenance de l'atelier de
Jean Colombe. C'est la façade de cette Grande Maison où
nous sommes, c'est le une double symbolique se dégage
de l'édifice. D'abord une magnifique demeure aristocratique,
avec des éléments qui sont empruntés au
château de Mehun sur Yèvre, et c'est surtout
l'insistance de la représentation de l'emblématique
royale, les fleurs de lys, jusqu'à la révolution
vraisemblablement. On voit une statue de Charles VII, c'est débattu,
certains y verraient plutôt une Charité Saint Martin,
Saint Martin découpant son manteau. Il faut voir, mais
je crois que c'est plutôt Charles VII en roi-chevalier.
On trouve l'association insistante de l'emblématique
royale jointe aux armes et devises de l'Argentier, ce qui témoigne
de sa volonté d'étaler l'étroitesse de ses
liens avec le roi.
les décors ont été
exécutés de 1448 à 1451.
Il suffit que vous vous retourniez, il y a cette
célèbre porte dite "porte royale" document
25,
qui est derrière vous, avec la représentation
de cette biche et de ce cerf ailés couchés sur
un champ d'iris dont nous verrons d'autres reproductions qui
figuraient sur des tapisseries il y avait dans cet Hôtel
une tapisserie vermeil dit le texte à "cerfs volants"
et vous verrais à nouveau ces cerfs volants caractéristiques
de l'emblématique du roi dans les tentures d'un lit de
justice dont je reparlerais, c'est le lit de justice de Vendôme,
si l'on regarde un détail de cette reproduction, le document 27, vous voyez
qu'il s'agit d'un cortège qui sort de l'Hôtel mais
d'un portement de croix se dirigeant vers le Golgotha, et le
fait que cette uvre soit postérieures à la
condamnation autorise d'y voir une allusion à titre un
peu commémoratif des malheurs et de la chute de l'Argentier
par quoi nous allons maintenant terminer.
La chute de l'Argentier
Le procès de 1451 à 1453,
l'approche de ce procès est rendue malaisée parce
que l'on a à faire à une procédure qui ne
sera qualifiée que plus tard.
Trois points doivent être soulignés
:
Il faut attendre le premier quart du XVI
e siècle pour que soit précisé par exemple,
la notion de lèse-majesté
Ne sera précisée que dans le premier quart du seizième
siècle la procédure "extraordinaire",
c'est à dire inquisitoire, pour les affaires criminelles.
Ce ne sera véritablement organisée que par les
ordonnances de Blois en 1499, donc c'est un peu tard pour nous
en ce qui concerne le fait que ce procès a été
conduit selon les règles de la justice retenue. Je veux
dire par là, que le roi n'a pas délégué
sa justice, il a opéré lui-même directement.
Cette justice retenue est le fait d'un organisme que l'on appelle
le Grand Conseil malheureusement, il se trouve que nous ne possédons
pas les registres du Grand Conseil avant 1483, ce qui est évidemment
trop tard pour nous.
Il n'est pas question de refaire l'ensemble de
l'histoire de ce procès, mais d'essayer d'en préciser
les grandes phases, et les caractéristiques juridiques.
La plupart des historiens utilisent des transcriptions faites
au XVIII e et XIX e siècle, ainsi Jacques Heers avec les
Actes Judiciaires publiés par Buchon en 1838.
S'il y avait une seule chose à retenir,
ce serait celle-ci : ce procès est un procès
je dirais à la Nicolas Fouquet, sous Louis XIV, c'est
à dire que tout est combiné pour qu'il se conclût
par la perte des biens de l'Argentier.
Alors pour ce faire, c'était finalement assez simple,
il fallait prouver la lèse-majesté et instruire
selon la procédure inquisitoire, et cela dans le cadre
de la justice retenue. Le document 28
va vous monter un roi de France,
dans la bourse du roi apparaît une main de justice. Le
roi tient une baguette qui symbolise que le roi détient
au nom de Dieu la justice sur les hommes,.
Comment les choses se sont-elles engagées
? l'ascension de Jacques Cur s'était accompagnée
évidemment d'un certain nombre de rancurs qui s'exprimaient
à la Cour et en Languedoc, en particulier dès les
années 1445 l'archevêque de Reims, Jean Jouvenel
des Ursin, il faut faire attention aux prénoms, car il
y a trois frères qui vont jouer un certain rôle.
Là c'est Jean qui déclare qu'il faisait des profits
absolument scandaleux et il est certains que ceux qui risquaient
leur vie ou leur fortune dans les combats de Normandie ou de
Guyenne voyaient évidemment d'un assez mauvais il
cette ascension et ces investissements subits en biens fonciers
depuis 1447. En Languedoc la grogne était générée
par deux choses, d'abord le fait qu'il y avait ce monopole des
galées de France. Les marchands languedociens soupiraient
après, disaient-ils le fait que le commerce devait être
libéral, on était dans une réflexion quasi
contemporaine et également ce qui les a beaucoup choqué
c'est le départ pour Marseille .
Par ailleurs il y avait d'autres éléments
plus troublants, on pourrait se demander et si la fidélité
de Jacques Cur envers le roi n'était pas troublée,
par les liens entretenus par Jacques Cur avec le Dauphin
c'est à dire le futur Louis XI, qui commençait
à s'agiter beaucoup et par des liens avec ce personnage
tout puissant dont je parlais tout à l'heure, c'est à
dire le roi d'Aragon Alphonse V .
Leurs deux noms n'étaient-ils pas évoqués,
lors de l'affaire de la mort d'Agnès Sorel en 1450. En
fait il était tentant pour le roi de mettre la main
sur la fortune d'un personnage qui était en partie son
créancier on estime que Jacques Cur avait investi
200 000 écus dans la campagne de Normandie, cela fait
tout de même 275 000 livres tournoi en fin de compte, et
à nouveau 80 000 livres tournoi pour la première
campagne de Guyenne, toujours est-il qu'on arrive à la
première phase du procès, il y a quatre phases,
que je vais maintenant aborder pour terminer.
Les "crimes"
de Jacques Cur ?
La première phase consiste en une
information préalable décidée à la
fin du printemps de 1451, elle est conduite en secret, quasi
secret, alors que Jacques Cur est auprès du roi,
et elle s'avère quasiment décisive, puisqu'elle
permet de faire peser sur l'Argentier une double accusation :
- d'abord un meurtre, une débitrice
de Jacques Cur, elle lui doit tout de même 500 écus,
c'est une affaire vieille de 3 ans, Jeanne de Vendôme l'accuse
formellement d'avoir empoisonné Agnès Sorel.
Agnès
Sorel, vous connaissez tous ce volet du diptyque qui se trouve
à Anvers, toujours par Jean Fouquet et commandé
par Etienne Chevalier, l'un des exécuteurs testamentaires
d'Agnès Sorel, on va le montrer au passage, sans que l'on
soit absolument sûr qu'il s'agisse bien d'Agnès
Sorel, enfin la beauté s'impose c'est le document 29.
Dans la manière de Fouquet,
la géométrisation du visage, la pâleur du
visage, on a souvent dit une sorte d'érotisme glacé.
Ensuite un crime de lèse majesté. On fouille
un peu partout et on trouve dans la maison de Jacques Coeur à
Montpellier, un sceau semblable au petit sceau secret du roi
c'est à dire le sceau en cire rouge avec lequel le roi
scellait ses lettres privées, ses lettres closes, vous
allez voir le sceau secret de Charles VII. Il a 42 mm de diamètre,
c'est un sceau de type armorial : l'écu aux 3 grosses
fleurs de lys renvoyant au pouvoir royal.
Le deuxième acte est la décision
prise par le roi le 31 juillet 1451 au château de Taillebourg
près de Saint Jean d'Angely (Charente Maritime), le Grand
Conseil entendu, d'imputer à Jacques Coeur le crime de
lèse-majecté, ce qui entraîne immédiatement
l'arrestation de l'Argentier, astreint à tenir prison
fermée, et la mise sous séquestre de ses biens.
Quatre crimes de lèse majesté, donc
vous l'avez vu, il y a la contre façon du sceau du roi
et on y ajoute très rapidement, c'est le document 31, l'imitation
de la signature de Charles VII il se trouve que l'on a repéré
chez Jean Thierry justement qui était le clerc, et homme
de confiance de l'Argentier.
Deuxième crime de lèse majesté, là
aussi il y a quelques résonances contemporaines, c'est
la fourniture d'armes à l'Orient, fourniture d'armes aux
Sarrasins alors fournitures d'armures, d'armes de poings
etc à quoi on ajoute la remise d'un jeune esclave chrétien
qui avait échappé à sa captivité,
s'était réfugié sur un bateau de Jacques
Cur en rade d'Alexandrie et que les hommes de Jacques Cur
ont rendu, on verra dans quelles conditions.
Donc contrefaçon du sceau du roi,
relations avec les Sarrasins on revient à l'ancienne affaire
de la fabrication de fausse monnaie de Bourges en 1429 - 1430
: falsification portant sur le titre et la taille d'écus
royanx., pour laquelle il y avait eu pourtant des lettres de
rémission.
Et enfin on ajoute quelque chose de très
pittoresque c'est une escroquerie émise au mois de
décembre 1446 au moment du mariage de ce Comte de Clermont
avec Jeanne de France. Le duc de Bourbon son père avait
envoyé une ambassade dans laquelle figurait un personnage
portant le nom fameux de Lafayette, les Lafayette étaient
déjà là et il se trouve que l'on accuse
Jacques Cur de s'être entremis dans cette affaire
et d'avoir exigé pour que le mariage soit réalisé,
le versement d'une somme de 2000 écus les textes disent
" faute de quoi il ne ferait rien de leur besogne"
. Le roi voulant avoir cette somme "pour ses plaisirs et
pour jouer aux dés aux fêtes de Noël";
donc c'est une atteinte à l'honneur du roi qui est ressentie
assez durement
Quels sont les commissaires qui instruisent
tout cela et s'acquitèrent parfaitement de leur mission
? Il y a des familiers du souverain
, par exemple un ancien protégé d'Agnès
Sorel, le sénéchal de Saintonge et Chambellan du
roi, celui-là même qui mettra la mains sur les biens
du Roannais Guillaume Gouffier.
Il y a aussi de la même manière
pour les biens du Puisaye, Antoine de Chabannes qui, par ailleurs,
est le gardien de Jacques Cur dans sa prison. Il y a également
des hommes de loi en quête d'une promotion par exemple
un lieutenant du sénéchal de Saintonge, un personnage
qui s'appelle Elie de Tourrettes, qui est créé
cinquième Président au Parlement de Paris le 5
juin 1454 sans jamais avoir été Conseiller, c'est
à dire que nous n'avons pas inventé à l'heure
actuelle le tour extérieur.
Il y a aussi dans ces commissaires des
hommes d'affaires, souvent Languedociens, parfois d'anciens associés
de Jacques Coeur par exemple les frères Teinturier mais
aussi des figures extrêmement inquiétantes, et parmi ces figures inquiétantes
se dégage celle de ce capitoul de Toulouse, Otto Castellani
qui est un florentin établi à Toulouse dans les années 1440, trésorier royal,
capitoul en 1443. Il sera d'ailleurs le successeur éphémère
de Jacques Cur à l'Argenterie mais c'est un personnage
extrêmement louche, trouble, qui sera bientôt convaincu
lui aussi de crime de lèse-majesté en raison de
ses liens avec le milieu particulièrement délétère
des jeteurs de sorts et autres magiciens .
Toujours est-il que le 14 juin 1452 au château
de Chissay, donc à proximité de Tours, a lieu une
réunion générale pour faire le point pour
savoir comment on continue. Faut-il continuer l'instruction,
faut-il continuer à interroger Jacques Cur,et se
pose le problème de la question que recommande l'inquisition
pour venir à bout des obstinés. Faut-il lever le
secret , et finalement le roi décide de lever le secret
pour un période de 2 mois qui a été prolongée
en fait jusqu'à la fin de l'hiver 1452/1453 en raison
de la reprise de la guerre de Guyenne et dans l'intervalle, Jacques
Cur est autorisé à prendre contact avec ses
fidèles mais il se trouve que la plupart ont quitté
le royaume évidemment de peur d'être arrêtés,
c'est le cas de Guillaume de Varie, de Jean de Village, de bien
d'autres encore. C'est le moment quant même que se situe
l'intervention favorable à Jacques Cur de quelqu'un
qui l'a connu et qui l'a apprécié, c'est directement
le pape Nicolas V lui-même et je fais produire ce document 32 avec les armes de ces papes à la sacristie du
chapitre, offerte à la cathédrale de Bourges par
Jacques Cur, on sait le rôle dans sa grande ambassade
de 1448 et dans l'abdication de l'anti-pape Félix V en
1449..
La sentence
Il se trouve par ailleurs que le propre
frère de Jacques Cur, Nicolas Cur avait été
représentant du roi auprès de la papauté
pendant quelques années. Ce que l'on voulait surtout dans
cette sentence que l'on appelle interlocutoire, c'était
de savoir si l'accusé pouvait bénéficier,
après avoir reçu les ordres ecclésiastiques,
d'un privilège de cléricature.
C'était très important parce que l'accusé
ne pourrait certainement pas échapper aux hommes du roi
puisqu'il y avait lèse-majesté mais s'il y avait
la preuve de la cléricature au moment de la reprise des
interrogatoires, la question, c'est à dire la torture,
serait effectuée sous le contrôle de l'Eglise. Donc
il était très important de savoir si Jacques Cur
était clerc ou pas. Il y avait deux moyens assez simples,
savoir s'il était tonsuré au moment de son arrestation
et savoir s'il portait des vêtements de clerc.
Des témoins sont entendus, dont Jean Vidal, marchand de
Narbonne, et la conclusion, c'est qu'il n'était absolument
pas clerc et finalement son costume devait être comparable
à ce que l'on voit ici dans le décors de la tour
centrale, c'est le document 33.
Il portait une robe courte à mi-cuisse et on a un témoignage
qui est particulièrement intéressant, c'est un
témoin qui décrit très précisément
le costume porté par Jacques Cur au moment où
il est arrêté, costume je dois le dire qui n'a rien
à voir avec celui que vous avez vu devant la grande maison
avec la statue de Préault.
Je cite maintenant : "Jacques
Cur a été pris en robe noire courte, mi-cuisse,
chausses de vert obscur, pourpoint de velours ou satin cramoisi,
chapeau gris, chaussures à poulaines" donc finalement Jacques Cur ne tire pas profit
de cette suspension exception faite de la production de deux
saufs conduits pontificaux (Eugènne IV en 1446 et Nicolas
V en 1448) qui autorisaient sous certaines conditions le trafic
avec les infidèles et on arrive à la dernière
phase qui est celle des derniers interrogatoires, en mars 1453
au château de Tours.
Ce qui domine
tout ça, c'est la
mention de la torture ou sa menace, une tentative d'appel et
finalement l'effondrement de l'accusé. Vous allez voir dans le document 34, ce sont les questions que l'on pose à Jacques
Cur, là ce sont des indications chiffrées,
ce sont les articles sur lesquels on interroge Jacques Cur
et là, ce sont les mentions de tortures, par exemple,
ici c'est assis sur le billot avant que fut achevé de
lier et en délassant son pourpoint, on verra dans le document 35,
en plus gros, livré aux questions
et dépouillés et en délassant son pourpoint
. Donc la torture est absolument pratiquée.
Comment Jacques Cur réagit-il
? Eh bien il dit qu'il s'en rapporte
aux témoins des accusations, il ne se défend pas
vraiment il y a un seul point sur lequel il n'est pas d'accord,
c'est l'empoisonnement d'Agnès Sorel, et de fait son accusatrice
sera convaincue de faux témoignage. Pour le reste il reconnaît
les faits, il déclare que s'il est torturé,
il confessera ce que l'on voudra et il essaie seulement de les
expliquer, soit par un soucis de bien public, il dit qu'il
faisait ces trafics vers l'Orient pour donner bruit, c'est à
dire donner de la renommée à la marchandise de
France. Pour les esclaves chrétiens, il dit que, je cite
" il sait bien que si un français s'était
échappé aux anglais, ou si un anglais s'était
rendu en ce royaume, pour être français, que celui
qui le rendrait serait digne de grande punition". Ou
bien alors il explique son attitude par des considérations
sur la concurrence disant que s'il n'avait pas pratiqué
ainsi, les génois auraient interdits l'embarquement d'épices
sur les bateaux français.
Au total, il s'en
remet à la bonne grâce du roi,
en ajoutant quand même avec une bonne dose d'amertume,
il croyait "avoir
autre salaire et autre triomphe pour les services qu'il a fait". La condamnation qui intervient le 29 mai 1453
dans une assemblée un peu moins solennel que le lit de
Justice (celui de Vendôme ayant été merveilleusement
décrit par Fouquet, c'est le document 37).
Vous voyez ici le roi en majesté,
à ses pieds le grand Chancelier de France qui est le frère
de celui qui accusait Jacques Cur, d'avoir fait des profits
énormes, cette fois-ci c'est Guillaume Jouvenel des Ursin
et vous le voyez avec sa robe rouge, à côté
un des compagnons de Jeanne d'Arc, Dunois qui est des seuls à
avoir déposé dans le procès de Jacques Cur
à décharge, les membres du Parlement
etc
vers l'avant les gardes écossais avec ce décors
de perle et surtout siégeant au parquet comme il se doit
le procureur général du roi au Parlement de Paris,
celui qui met les biens de Jacques Cur sous séquestre,
c'est à dire Jean Dauvet. C'est celui qui a parcouru la
France dans tous les sens pour mettre les biens de Jacques Cur
sous séquestre pour les vendre
etc.
Les ultimes épisodes du procès ont
eu lieu dans la grande salle du palais ducal de Poitiers, et
on retourne ici à proximité de Jean de Berry, c'est
le document
36. donc une salle merveilleuse e qui sert actuellement
de salle des pas perdus au Palais de Justice, et c'est là
que le Chancelier de France, Guillaume Jouvenel des Ursin prononce
la sentence.
La sentence est la suivante : on prononce contre Jacques Cur
une peine de confiscation de corps et de biens c'est à
dire qu'on devrait le mettre à mort, mais la peine de
mort lui est remise en raison des services qu'il a rendu et en
raison de l'intervention du pape pour l'essentiel, de plus
deux amendes lui sont infligées,
D'abord une pénalité de 300 000 écus plus
une restitution de 100 000 écus ce qui fait un total de
550 000 livres tournoi. Je disais tout à l'heure que les
revenus du roi pour une année, c'est 3 millions de livres
tournoi,
En attendant le versement de ces sommes il doit
rester en prison et il reste en prison dans la chambre du roi
au château ducal de Poitiers.
La deuxième amende qui lui est infligée n'est pas
du tout une formalité, c'est une amende honorable pour
reconnaître ses défauts et demander pardon à
Dieu au roi et à la justice, vous allez le voir dans le
document
39. On voit Jacques Cur
tenant dans ses mains une torche de 10 livres de cire qui brûle,
sans chaperon ni ceinture, qui reconnaît ses fautes, et
si vous voulez, il ne s'agit absolument pas d'une formalité
c'est très important. Il s'agit de rentrer en grâce
auprès du roi, de réparer symboliquement l'honneur
du roi qui a été blessé, c'est une sorte
de substitut de la peine de mort. Auparavant, il y avait eu des
tentatives pour le troisième frère Jouvenel des
Ursin , maintenant c'est Jacques Jouvenel l'évêque
de Poitiers qui fait une nouvelle tentative pour relancer l'affaire
de la cléricature de Jacques Cur, cela n'aboutit
pas, c'était d'ailleurs absolument impossible puisque
l'Official de Poitiers, n'était autre que le frère
du dépensier de la maison où nous sommes, de ce
Guillot Tripault, son frère était l'official de
Poitiers, Jean Tripault.
Avant de refermer définitivement
le dossier du procès, il faut souligner qu'il y a eu
une tentative de révision sous Louis XI, à l'époque
où les hommes de Jacques Cur étaient absolument
rentrés en grâce, on faisait du Jacques Cur
sans Jacques Cur, ça tourne court au bout de deux
audiences sans résultat en 1462 devant le Parlement de
Paris.
Epilogue : Quel a été
le sort de Jacques Cur et de ses biens.
Le sort de ses biens d'abord. Sous la pression
du roi, qui écrivait à Jean Dauvet qu'il fallait
se presser, et ramasser tout l'argent qu'il pouvait et bien au
bout de 4 ans d'opération, en 1457, Jean Dauvet avait réussit à
réunir 290 000 livres tournois sur les 550 000 que théoriquement,
il aurait du obtenir.
Je vous montre, les documents qu'il aurait
du obtenir, produits au moment de l'attribution de la vente des
biens du Roannais, ce sont des documents 41 et 42 avec Guillaume Gouffier qui s'empare de ses biens
pour la somme de 10000 écus, c'est une bonne somme, c'est
la somme que le roi retient pour la maison où nous sommes,
à Bourges.
Deuxième étape, il faut passer à
la Cour du Trésor pour que cela devienne officialisé,
et l'ensemble de la procédure pour Roanne se trouve dans
un grand rouleau, c'est le Document 43 qui est très important puisqu'il
mesure 15 mètres 48 sur une largeur de 0,60 mètres,
et pour chacun des biens que j'ai détaillé tout
à l'heure existaient de tels rouleaux , on en a conservé
5 ou 6 .
Jacques Cur lui-même, pendant
que tout cela se produisait était auprès du pape,
en effet, il s'était échappé du château
de Poitiers, où il était à la garde d'Antoine
de Chabannes dans la chambre du roi c'était fin octobre
1454 et à la fin de 1454, il avait mis le cap vers le
sud, d'abord, chez les Dominicains de Limoges, puis au confins
du royaume chez les Franciscains de Beaucaire. Par un audacieux
coup de main, et là on a le document, Jean de Village
réussit à le faire passer en Provence en compagnie
de son fils Ravant, qui n'était pas dans le royaume, on
le sait par des lettres de rémission qui ont été
accordées à Jean de Village et le 16 mars 1455
le pape pouvait prononcer son éloge devant le consistoire.
Et là, passent deux ans qui sont marqués, par l'arrivée,
les uns après les autres des principaux responsables de
ses affaires , Varie, Village
. Etc
C'est pendant ces deux ans que se prépare
cette croisade contre les Turcs, puisque vous vous en souvenez,
le jour de la condamnation de jacques Cur, les Turcs s'étaient
emparés de Constantinople et la croisade avait d'abord
pour premier objectif le contrôle de l'île génoise
de Chio.
Jacques Cur se mêle à cette affaire sans doute
dans une double intention qui apparaissait à ce moment
là comme une espèce de place tournante pour les
affaires. M. Mollat a eu une formule, qu'on peut reprendre. Il
disait que Chio était une "sorte de Hong-Kong du
XV e siècle" donc il pensait peut être pouvoir
relancer ses affaires.
Mais aussi, c'est cet aspect assez complexe
du personnage, il voulait aussi participer certainement à
l'affrontement de la chrétienté du monde Ottoman
comme un de ces chevaliers qu'il admirait beaucoup, et tout cela
se termine par ce que nous apprend l'obituaire du Chapitre de
la Cathédrale de Bourges, confirmé par une bulle
pontificale de 1467, c'est à dire le jour de la Sainte
Catherine, le 26 novembre 1456, la mort de Jacques Cur.
Alors se pose pendant quelques années,
le problème
du tombeau de Jacques Cur, est-il
mort à Chio, est-il mort ailleurs ? Dans les années
1960, on a pu voir dans les gazettes une dépêche
reproduite dans "Le Monde" qui annonçait que
l'on avait retrouvé l'emplacement de son tombeau dans
un jardin public qui a été aménagé
à la suite de la disparition l'église des Cordeliers
dernière demeure de l'Argentier. Pour ma part, je préférerais
conclure en paraphrasant une épitaphe fameuse, "c'est
dans la mémoire des vivants que se trouve le tombeau des
défunts illustres."
En tout cas par votre présence ce soir, vous venez de
témoigner de l'intérêt que l'image de l'Argentier
continue de susciter.
Je vous remercie.
Robert Guillot