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 JACQUES COEUR DE BOURGES
 
Site des Amis de Jacques Coeur
CONFERENCE DU PROFESSEUR ROBERT GUILLOT EN 2003 "JACQUES COEUR, LES DOCUMENTS D'ABORD"
 

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 CETTE CONFERENCE DU PROFESSEUR ROBERT GUILLOT EN MAI 2003, AU PALAIS JACQUES COEUR s'intitulait "JACQUES COEUR, LES DOCUMENTS D'ABORD", dans le cadre des Conférences des Amis de Jacques Cœur.avec le soucis de reprendre avec précision ce que nous disaient les documents authentiques.

Je suis heureux de vous saluer ce soir ; c'est évidemment un honneur pour moi d'être accueilli ici dans la maison de l'Argentier par monsieur Buisson et d'y prendre la parole à l'invitation de madame Narboux.

Je voudrais d'abord m'expliquer sur le choix de cet intitulé : "Jacques Cœur, les documents d'abord".
Je partirais de 2 constats : le premier concerne la démarche même de l'historien ; pour dire cette chose le plus simplement possible cette démarche procède d'une confrontation entre une série d'hypothèses forcément subjectives, un modèle lié aux idées du temps et les documents authentiques, les sources de l'historien.

Les sources de l'historien,

L'important c'est de ne pas tordre les sources pour conforter l'image que l'on se fait de tel personnage ou de telle situation. Le deuxième constat, c'est l'insuffisance documentaire que nous allons rencontrer d'une manière générale au cours du Moyen Age.

Il y a une formule de Georges Duby qui est très bonne, que je citerais volontiers c'est celle-ci, Georges Duby écrit :

"Les documents dont disposent les médiévistes sont comme les épaves surnageant d'un complet naufrage".

Cette formule est tout à fait exacte en ce qui concerne Jacques Cœur, et cette insuffisance documentaire est restée longtemps particulièrement flagrante au point d'avoir découragé d'éminents spécialistes du XV e siècle d'entreprendre une étude scientifique de l'Argentier.
Je prendrais quelques exemple pour illustrer cette déficience, d'abord premier exemple: De la correspondance d'affaire de Jacques Cœur nous ne connaissons qu'une dizaine de lettres autographes et dans le document 2.
Vous allez pourvoir apercevoir une partie d'une de ces lettres et ce qui est intéressant d'observer ici, c'est la qualité de la signature de Jacques Cœur. On pourra la comparer tout à l'heure à la signature du roi Charles VII.
Ensuite, autre élément, les pièces originales de son procès sont perdues, alors que les pièces du procès de Jeanne d'Arc, sensiblement contemporain, sont connues par les traces qui ont été recueillies au moment du procès de réhabilitation en 1456.

Au total jusque dans les années 1950 la moisson que l'on trouvait était particulièrement mince, qu'il s'agisse des écrits de Jacques Cœur, de ses propos, de la conduite de ses affaires ou des témoignages directes sur sa personne.

Quelle explication donner ?
Et bien le déficit documentaire se situait d'abord aux sources, c'est à dire que Jacques Cœur écrivait peu ; par exemple il n'y avait pas de registre pour la tenue des comptes d'exploitation des mines du Lyonnais, mines de plomb argentifère, mines de cuivre à l'époque de Jacques Cœur.
Jacques Cœur se déplaçait lui-même et venait vérifier sur place si les choses allaient bien, c'est un premier élément. Un deuxième élément, toujours à l'origine c'est que dès la nouvelle de son arrestation, ses familiers, ses commis ont dissimulé des lots extrêmement importants de papiers d'affaires soit à Montpellier même, soit et c'est plus grave pour nous, à l'extérieur , c'est à dire que des quantités énormes de documents ont été expédiés à Barcelone ou à Marseille qui n'était pas dans le royaume ou à Naples, par des gens extrêmement dévoués, des facteurs dont nous retrouverons tout à l'heure les noms, je voudrais citer déjà deux d'entre eux, Jean de Village qui est bien connu chez vous ici, et par exemple aussi Antoine Noir.

Donc tout ça concerne l'époque de Jacques Cœur, mais beaucoup plus importantes aussi les difficultés qui sont apparues à cause des malheurs des temps et dans ce domaine des catastrophes se sont abattues, sur ce qui pouvait rester des archives de Jacques Cœur. La première, vous la connaissez bien, c'est l'incendie à Bourges de 1487 qui a détruit toute une partie de la ville et qui a entraîné la perte d'archives municipales qui auraient été très précieuses. Autre élément dont il faut tenir compte, plus près de nous cette fois-ci, c'est en 1871 ici même à Bourges la destruction d'archives de l'archevêché, et surtout à Paris l'incendie du bâtiment de la Cour des Comptes au moment de la Commune en 1871, or, il se trouve que c'est vers cette juridiction, qu'avait été dirigés des lots extrêmement importants de documents venant de l'Argenterie de Tours.

Et le malheur a continué, car ce qui pouvait subsister et qui restait de la Cour des Comptes avait été déposé dans les caves du pavillon de Marsan or, l'inondation de la Seine en 1910 est passée par là…….Et donc a achevé de détruire ce qui était conservé.

Eut égard à ces conditions finalement très difficiles, la question qui se pose est donc la suivante: comment approcher l'Argentier dont nous avons les armes parlantes, cœur et coquille saint Jacques dès l'abord de la maison et on va le voir dans le documents 4.

Vous verrez en sortant, les cœurs qui sont disposés tout au tour du marteau ainsi que les coquilles. D'ailleurs le marteau n'est plus celui que nous connaissons maintenant il a disparu. En schématisant, on pourrait identifier finalement dans l'historiographie de Jacques Cœur, deux grands courants que je vais aborder.

Le premier courant est représenté par les récits, les romans historiques, l'évocation finalement d'un destin romanesque qui fait appel à l'imaginaire et au merveilleux ; je rangerais dans cette première série ce que nous savons des légendes, ensuite les romans historiques, la création théâtrale qui est importante, enfin je dirais un mot de l'ésotérisme.

En ce qui concerne la légende, de multiples légendes ont couru à propos de Jacques Cœur, ici même je crois que Honoré de Balzac a recueilli une légende mettant en évidence des souterrains conduisant de l'Hôtel Jacques Cœur où nous sommes jusqu'à une tour située à l'extérieur, mais je voudrais , plutôt puisqu'elle me semble plus intéressante, vous relater une légende recueillie en Roannais où Jacques Cœur avait des biens importants et vous verrez que cette légende est tout à fait teintée d'actualisation en quelque sorte. La voici :

La légende du Roannais

."Jacques Joli Cœur", on l'appelle ainsi, fils d'un marchand de laine de Bourges ayant entrepris de faire son tour de France, s'arrête un jour dans la Côte roannaise dans une petite bourgade qui s'appelle Saint Haôn le Châtel ; là il apprend que près d'un grand étang, le grand étang de Boisy, vivait un serpent dont la tête s'ornait d'une bague magique, qu'il quittait chaque soir. Dissimulé dans un tonneau, nous sommes dans un pays viticole, Jacques s'empare de cet anneau qui changeait en or tout ce qu'il trouvait ; il devint très riche. Il fit construire le château de Boisy, faisait naviguer des bateaux sur la Loire et creuser des mines pour trouver encore plus d'or jusqu'au "moment catastrophe" ou le roi devient jaloux de sa fortune, promet de grandes récompenses, et vous allez voir la petite touche d'anticléricalisme, promet de grandes récompenses aux moines d'un bourg voisin celui d'Ambierle si on lui livrait Jacques Cœur ce que les moines firent après s'être emparés de Jacques Cœur par trahison évidemment.
Voilà une légende qui illustre ce premier élément.

Pour l'essentiel, ce premier courant est représenté par de multiples récits ou romans historiques, on m'a dit qu'il y en avait des dizaines, répétés, recopiés à travers les temps. Ils s'alimentent à une sorte de vulgate qui a pris naissance au XVIII e siècle à partir de chroniques du XV e siècle et de fonds de jurisprudence. Ce courant charrie évidemment beaucoup d'approximations je vous en donne quelques unes, la première qu'il faut dénoncer avec une certaine vigueur, c'est celle de Grand Argentier. Surintendant des finances, grand banquier, prince des marchands, fils d'un orfèvre de Bourges, un grand bourgeois victime de l'absolutisme, d'un procès inique...

Grand Argentier ou Ministre des finances ?

Grand Argentier ou Ministre des Finances, Surintendant des Finances, nous verrons plus tard ce qu'il en est. Autre déviation, qui a eu cours pendant très longtemps, c'est l'idée que Jacques Cœur était un personnage sans aucune éducation, à partir d'une formule d'un chroniqueur du XV e siècle, Thomas Basin.
Autre déviation qu'il faut dénoncer, concernant la fin de Jacques Cœur, c'est à dire ses séjours dorés après la croisade, à Chypre épousant une princesse grecque … etc.

Au total, vous voyez des polygraphes qui n'apportent pas grand chose à la connaissance véritable de Jacques Cœur. Alors cela produit des ouvrages agréables à lire, tout à fait d'accord. Mais éloignés des sources authentiques et dans lesquels la subjectivité l'emporte très souvent avec les dérives inévitables que je viens de citer.

Beaucoup plus intéressant à mon avis, pour moi, c'est la création théâtrale,

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La création théâtrale

Et il se trouve que Jacques Cœur, par son destin dramatique, ses épisodes extraordinaires a suscité l'intérêt d'auteurs dramatiques et vous êtes biens placés ici à Bourges pour le savoir, puisque la pièce d'Audiberti, "Cœur à Cuir" a été créé ici même à la comédie de Bourges avec Gabriel Monnet que vous allez voir dans le document 6.

C'était en 1967, Gabriel Monnet en Jacques Cœur montrant à son épouse Macée de Léodepart les plans du Palais.
Puis il y a eu une autre création théâtrale en 1990 ; un auteur méridional cette fois-ci, Guy Vassal, du Théâtre Populaire des Cévennes a monté ici à Bourges une pièce intitulée tout simplement "le procès de Jacques Cœur". Avec un certain succès.

J'arrive maintenant au quatrième point de cette première grande série d'approches de Jacques Cœur, c'est l'ésotérisme.

L'ésotérisme

Je dirais que là, c'est une autre paire de manche parce que l'ésotérisme part de documents, effectivement, mais aboutit à des conclusions qui ne sont pas acceptées par tous les historiens. Il faut dire que par son caractère secret, son goût des symboles, Jacques Cœur peut très bien se prêter à de telles interprétations. Elles ont été abordées par des propositions d'explication de l'emblématiques des demeures de Jacques Cœur par des auteurs comme Christiane Paloux ici même à Bourges et quelques autres.

Alors je donnerais seulement un exemple pour illustrer cet aspect là des choses, c'est un sigle qui est resté à la fois énigmatique et célèbre et qui apparaît dans la pierre à l'Hôtel Jacques Cœur, qui apparaît également dans un vitrail de la sacristie de la cathédrale, c'est ce sigle RG.
Il se trouve que nous le connaissons également dans la description de la décoration de la chambre même de Jacques Cœur à l'étage, c'est à dire l'ensemble de taffetas brodé et nous connaissons cette description de la chambre et de sa décoration grâce au témoignage de celui qui avait la charge de gérer les affaires de l'Hôtel et qui témoigne devant quelqu'un dont nous allons beaucoup reparler et qui est le procureur du roi qui était chargé de mettre la main sur les biens de Jacques Cœur, il s'agit de Jean Dauvet.

Ce sera l'occasion de voir ce qui est un des documents essentiels pour la connaissance de Jacques Cœur, c'est à dire le journal du procureur Dauvet. Donc c'est le document N° 5.
Je vous indique l'emplacement du "RG" et là commence la déposition que je vais vous lire. La déposition de ce dépensier de l'Hôtel Jacques Cœur qui s'appelle Guillot Tipault et non pas Trépan comme on a pu le dire. Voilà ce qu'il déclare :
" interrogé sur ce qu'est devenu une chambre de taffetas rouge, brodée à RG, et à angelote, il dit qu'il "a bien vu autrefois en l'hôtel et fut porté à Rome" (ce fut la grande ambassade de 1448 ) et depuis il fut rapporté en son dit hôtel et fut tendu aux noces de maître Jean Thierry dans la chambre des Galées". En dehors de ce RG sur lequel je m'explique dans un instant, il y a aussi un élément très important qui concerne la manière dont s'établissait une confiance extrême entre Jacques Cœur et certains de ses commis, Jean Thierry était l'un de ses clercs et la noce a été célébré ici dans l'Hôtel même de son patron.

Alors que dire sur "RG"

On peut dire à peu près ceci, c'est que la plupart du temps on l'interprète comme le sigle de "Réal Guerdon" c'est à dire "protection royale" ou "royale récompense" mais les alchimistes estiment que l'on peut aussi le décrypter comme "Recipe G" c'est à dire "prend G", G étant le symbole de la matière première de l'alchimiste, c'est à dire l'antimoine.

Toujours est-il que de fait, le milieu des alchimistes n'était pas inconnu de Jacques Cœur, et on peut se référer ici à une lettre dont l'original est perdu, lettre dans laquelle Jacques Cœur relate la fabrication nocturne de lingots d'or à partir de laiton doré à l'hôtellerie de l'Homme Sauvage à Saint Benoît sur Loire.
Il y avait donc des contacts aussi avec le milieu des alchimistes.

J'en ai terminé avec ce premier courant dans lequel je ne me situe pas vraiment, vous l'avez compris.

L'autre courant, bien affirmé à partir du milieu du XIX e siècle a été alimenté par des informations fournies par la recherche de documents de première main. Laquelle constitue la première étape de la méthode historique. Et il faut voir dans cette recherche l'influence de l'Ecole des Chartes (1821) qui a produit un certain nombre d'ouvrages dont la base archivistique est certes incomplète, mais qui était parfaitement solide, je citerais seulement un nom, qui est celui du marquis Du Fresne de Beaucourt, c'est à dire un des grands historiens de Charles VII.
Dans le cas de Jacques Cœur l'exploration des archives s'est poursuivi dans ce milieu du XIXe siècle mais elle a été rendue très difficile pour 2 raisons : d'abord la dispersion des biens de l'Argentier depuis Bruges jusqu'à Montpellier, depuis la vallée de la Loire jusqu'à Genève et d'autre part surtout la multiplication de ses intérêts dans l'ensemble du bassin méditerranéen, depuis Damas jusqu'à Barcelone en passant par Alexandrie, Rhodes…

Donc il y a eu un très long processus d'exploration et dans ce processus un véritable tournant a été réalisé avec la publication du journal du procureur Dauvet par M. Mollat qui était alors professeur à la Sorbonne.
Ce journal tenu par le procureur du roi au Parlement de Paris qui a procédé pendant 4 ans çà la saisie et à la vente des biens de Jacques Cœur a cela représente un millier de pages qui alimentent pratiquement toutes les recherches que nous pouvons faire maintenant sur Jacques Cœur et qui alimente la synthèse que M. Mollat a publiée et vous allez voir que le délai est immense, 1952 la publication de Jean Dauvet, il a fallut plus de 30 ans à M. Mollat pour arriver à cette synthèse qui date de 1988 et qui est ce livre, connu et apprécié: "Jacques Cœur où l'esprit d'entreprise au XV e siècle".

Je voudrais citer un exemple qui est particulièrement significatif et intéressant c'est la découverte de l'inscription de Jacques Cœur de son principal facteur, de son alter ego, Guillaume de Varye et de l'un des fils de Jacques Cœur, Ravant, à l'art de la soie, vous savez que nous disons la corporation à partir du XVIII e siècle, l'art de la soie de Florence qui est l'un des 6 arts majeurs de la ville, c'est à dire qui avait une importance politique dans cette ville de Florence.
Au plan local d'autres avancées ont été réalisées, et je voudrais rendre hommage ici à Monsieur Jean Yves Ribault à la fois pour les avancées qu'il a fait réaliser dans la connaissance du milieu familial de l'Argentier, pour le repérage de ses biens à Bourges, ainsi que pour la mise en évidence de ses relations avec les Chapitres de la Cathédrale et de la Sainte Chapelle enfin la description de l'ambiance culturelle qu'il a connu.

De cette ambiance, nous avons le reflet avec le décor même de cette grande maison qui constitue une autre source documentaire importante, à rapprocher de l'œuvre de deux miniaturistes, enlumineurs, d'abord, issus de votre Ville, Jean Colomb, et le tourangeau Jean Fouquet.

C'est précisément dans les actes de ce procès et dans la condamnation que se trouve le gisement documentaire, donnant l'éclairage le plus précis sur le personnage et ses affaires.
Pour ma part, j'ai été suffisamment heureux pour retrouver aux Archives du Duché de Roannais, donc à Roanne, une copie des derniers interrogatoires de Jacques Cœur à Tours au début de 1453.
Et pour pouvoir exploiter aussi pour la première fois les registres d'audience et les procès verbaux d'adjudication dans la juridiction chargée du domaine du roi, la Cour du Trésor.

Nous avons maintenant la possibilité de tester un peu plus sûrement un certain nombre d'hypothèses, de cerner des réalités. De cette confrontation devraient ressortir les réponses à 3 grandes séries de questions :
D'abord, quels sont les fondements d'une telle réussite ? A-t-on à faire à un entrepreneur de grande envergure ? A un grand commis du pouvoir royal ?
Quelles sont les raisons de la catastrophe de 1451, de sa brutalité,

Et enfin comment caractériser les formes prises par son procès ?

Et bien la réussite de Jacques Cœur qui fait de lui l'homme d'affaire le plus important du Moyen Age français paraît s'inscrire assez précisément dans le cadre du relèvement du Royaume vers la fin de la guerre de 100 ans, c'est à dire que nous avons à introduire ici une périodisation.
Alors périodisation, ça veut dire que je suis amené à citer un certain nombre de dates, enfin, elles se tiennent entre deux événements que vous connaissez tous depuis l'école primaire, le premier, c'est la délivrance d'Orléans, par Jeanne d'Arc en 1429, (8 mai) et le deuxième, c'est la prise de Constantinople par les Turcs en 1453, et un hasard de l'Histoire veut que ce soit également le 29 mai, la date de condamnation de Jacques Cœur.

Jacques Cœur de 1429 à 1453

Cette périodisation permet d'introduire une première phase avec pour terme les années 1440.
Jacques Cœur a alors 40 ans, et il vient d'être nommé à la tête de ce service financier de l'Hôtel du roi que l'on appelle l'Argenterie. On l'appelle donc l'Argentier mais il n'a rien à voir avec un ministre des finances.

Que peut-on retenir de ses activités jusque là ? Pour l'essentiel, nous le voyons tenter sa chance dans la fabrication des monnaies, et des premières tentatives intéressantes dans la marchandise.
Il se trouve que son nom apparaît pour la première fois dans les documents en 1429, qui est donc l'année du sacre de Charles VII. Il s'agit d'une grâce royale qui a été accordée pour une fraude dont Jacques Cœur et trois associés se sont rendus coupables lors de la frappe de monnaies royales à l'atelier monétaire de Bourges dont ils étaient les fermiers. Ils étaient les fermiers de cet hôtel des monnaies qui appartenait à l'évêque de Clermont..
Cet épisode d'ailleurs ne remet pas en cause les fonctions de Jacques Cœur puisqu'il garde la maîtrise de cet atelier jusqu'en 1436 avant un court passage à la monnaie de Paris, qui venait d'être libérée de l'occupation anglaise. C'est le premier aspect.
Le deuxième aspect, c'est que nous le retrouvons comme partenaire de marchands de Bourges, ce sont les frères Godart dans une société commerciale pour la fourniture de la cour du roi qui était installée en cette ville : il s'agissait de marchandises de luxe et de produits importés du Levant. Lui-même avait fait en 1432 le voyage du Moyen-Orient en compagnie de marchands languedociens. Nous sommes renseignés sur le naufrage du retour devant Calvi et d'une manière très inattendue, nous avons un témoignage sur son passage à Damas, dans le récit d'un écuyer du duc de Bourgogne Philippe le Bon qui avait été envoyé par son maître dans cette région, au moment où il y avait déjà des bruits de croisade et cet écuyer s'appelle Bertrandon de la Broquière document 9

Le duc de Bourgogne qui est en train d'assiéger une ville du nord de la Côte d'Or (Aube), un peu avant la signature de la paix d'Arras qui met fin au conflit entre le roi et le duc de Bourgogne et il reçoit de ce Bertrandon de la Broquière dont le costume oriental est particulièrement frappant, vraisemblablement le récit qu'il a fait de son voyage et sans doute le volume du Coran (miniature de Jean Le Tavernier de 1456) et voici ce qu'il déclare :
" Quant nous fûmes venus à Damas, nous y trouvâmes plusieurs marchands français, vénitiens, génois, florentins et catalans, entre lesquels il y avait un français nommé Jacques Cœur qui depuis a grande autorité en France et a été Argentier du roi".
Lequel nous dit que la galée de Narbonne sur laquelle Jacques Cœur avait navigué, qui était allée en Alexandrie et devait revenir à Beyrouth, aidait lesdits marchands français pour aller acheter denrées comme épices et autres choses pour mettre en ladite galée".

De cette période de formation et d'exploration des conditions du grand commerce qui se clos au moment où la paix d'Arras en 1435 entre la France et la Bourgogne, commence à faire sentir ses effets nous pouvons retenir un certain nombre de caractéristiques, 2 ou 3 qui sont les suivantes :

D'abord apparaît déjà chez Jacques Cœur l'art de profiter des positions déjà acquises par ceux avec lesquels il s'associe, c'est le cas de la monnaie de Bourges, c'est le cas de ces marchands languedociens.

Ensuite, c'est le soucis d'atteindre le plus directement possible les lieux en approvisionnement en marchandises coûteuses

Et enfin le troisième aspect qui va perdurer c'est le cumul des fonctions publiques ou para publiques et du négoce.

Jacques Cœur de 1440 à 1450

Si l'on vient maintenant à la deuxième partie, c'est à dire 1440 - 1450 ce qui frappe d'abord, c'est en un temps très court, l'ascension fulgurante de celui que l'on appelle dorénavant Monseigneur l'Argentier. Il est annobli en 1441, puis entrant au Conseil du souverain et il se présente de plus en plus comme l'homme du roi.
L'homme du roi, je pense qu'il ne serait pas mauvais dans cette année anniversaire de 1403, de s'arrêter un instant sur l'étonnant destin aussi de Charles VII.

Charles VII était l'avant dernier fils de Charles VI et d'Isabeau de Bavière vous vous souvenez qu'il était compromis dans l'assassinat du duc de Bourgogne Jean Sans Peur en 1419, qu'il avait été déshérité et banni par le traité de Troyes conclu avec les anglais, entre Philippe le Bon et le roi d'Angleterre Henri V en 1420 . Il ne conservait plus guère que le tiers du royaume à l'issue de l'aventure de Jeanne d'Arc. Cependant en une dizaine d'années, ce prince, velléitaire et sceptique va faire place à un souverain particulièrement actif, ordonné et méthodique, on a dit souvent un autre Charles V.

Alors, au contraire de Jacques Cœur, ses traits nous sont parfaitement connus et je vais vous les monter dans quelques documents. Le premier, dans un document n° 10 représente à une date précise et bien connue, c'est le 8 juin 1442, c'est au début d'une première tentative de reconquête de la Guyenne, l'entrée solennelle du roi à Toulouse où sont réunis les Etats du Languedoc, on aura l'occasion de dire que la monarchie tire une partie extrêmement importante de ses revenus du Languedoc, donc le roi très souvent se déplace et là, il fait cette entrée solennelle

Deux remarques à faire, la première c'est que nous avons un véritable portrait et vous voyez la longueur du nez de Charles VII que nous reverrons tout à l'heure, et la deuxième caractéristique, c'est cette entrée à grand spectacle qui prend la dimension d'une cérémonie liturgique. Le roi a été sacré à Reims le 17 juillet 1429 où il a reçu l'onction qui le rend légitime ; il s'avance sous un dais rouge qui rappelle tout à fait celui qui protège le Saint Sacrement lors de la procession de la Fête-Dieu et il est entouré ici par le les "capitouls" de Toulouse donc des gens de l'administration municipale , manteau traditionnel, mais ce qui est intéressant ici, c'est que parmi ces "capitouls", figure vraisemblablement un personnage dont nous allons reparler : c'est un des ennemis jurés de Jacques Cœur, un florentin établi à Toulouse, il y est "capitoul" et s'appelle Otto Castellani .

La bataille de Formigny

L'événement que l'on pourrait retenir comme véritable symbole de la renaissance et du relèvement du royaume, c'est une bataille dans le fond qui passe inaperçue c'est la bataille de Formigny près de Bayeux, dans la reconquête de la Normandie le 15 avril 1450 et qui est une sorte d'Azincourt à rebours puisque les pertes anglaises ayant été estimées à 80% des effectifs engagés, 4000 tués, 1500 prisonniers c'est considérable. Ce succès éclatant qui permet le recouvrement de la Normandie était du à la capacité du roi à maîtriser les atouts dont il pouvait disposerr. Ces atouts étaient de deux ordres face à un camp anglais un peu désorganisé, et où les garnisons étaient un peu émiettées, pas très nombreuses, mal payées, parce que le Parlement de Londres rechignait et mesurait chichement son aide.

Charles VII pouvait compter à la fois sur des ressources et des hommes particulièrement substantiels ce qui lui a permis finalement de l'emporter sur une monarchie qui n'est plus la monarchie d'Henri V Lancastre le vainqueur d'Azincourt mais qui était déjà une monarchie contestée par la maison d'York, avec Richard duc d'York. Nous sommes à la veille de la fameuse guerre des deux roses en Angleterre.

Les ressources, et bien les recettes annuelles de la couronne montent à ce moment là à peut près trois millions de livres tournois. Ceci grâce à trois impôts permanents, les aides, la gabelle, la taille et les subsides votés par les Etats provinciaux, avec pour pourvoyeur principal, notamment les états de Languedoc et je dirais au passage que quelqu'un en a profité, pas seulement Jacques Cœur mais avant lui et pour le bien du patrimoine, c'est le duc de Berry évidemment, Jean de Berry, qui était Lieutenant général en Languedoc.

Donc des ressources, des hommes, il y a d'abord, profitant des Trêves avec l'anglais qui se situe entre 1445 et 1449, la mise en place d'un début d'armée permanente avec une cavalerie bien organisée, ce sont au total 15 Compagnies d'ordonnance, ( 100 "lances"de 6 cavaliers, plus des hommes à pied). Ce sont les grands archets et il faudrait ajouter les contingents des vassaux, c'est par ailleurs Charles VII passé à la postérité sous le nom de "Bien Servi" et parmi les gens qui l'on bien servi, figurent deux personnages que nous allons voir, document 11.
Ce document montre la bataille de Formigny, avec les anglais et de l'autre côté, des bretons avec leurs hermines, et des contingents qui sont conduits par le fils du duc de Bourbon qui va être bientôt le gendre du roi de France, le comte de Clermont que nous allons retrouver dans le procès et vous voyez ici l'écu de France qui est paré par un bâton "rouge", bâton de gueule.

Celui qui conduisait le contingent breton est le connétable de France, le connétable de Richemont qui sera d'ailleurs duc de Bretagne en 1457, celui qui était surnommé "le sanglier" qui était un dur, prisonnier à Azincourt, éloigné un instant du roi par une cabale conduite par un autre favori qui s'appelle La Trémoille en 1427, puis qui reprend le dessus en 1433, qui a négocié la paix d'Arras en 1435 avec les Bourguignon, c'est lui qui a libéré Paris en 1436 conduisant les contingents bretons à Formigny et c'est lui qui, un peu plus tôt, avait mis fin à cette révolte de nobles que l'on appelle "la Praguerie", donc quelqu'un qui a été présent et très fidèle au roi de France.

Et c'est donc le Très Victorieux Charles VII que Jean Fouquet a représenté dans deux tableaux célèbres. Dans le manuscrit du Livre d'Heures d'Etienne Chevalier, Trésorier de France (au musée Condé à Chantilly), une Adoration des Mages avec le roi et derrière lui ses deux fils c'est à dire le futur Louis de France puis l'autre fils, plus jeune Charles qui sera duc de Berry à partir de 1462. Ce qui est intéressant dans ce travail de Fouquet , c'est d'abord le réalisme du visage du souverain que vous reconnaissez bien, le rôle des couleurs royales, rose, blanc, vert, que l'on retrouvera à maintes reprises, la richesse de l'équipement de certains soldats dans lesquels nous reconnaissons les écossais de la garde royale. Ces écossais portent dessus leur cuirasse cette tunique que l'on appelle un "roqueton" et qui est brodée de perles. Les écossais dont nous connaissons le rôle dans l'organisation de la Septaine de Bourges et pendant les dernières campagnes de Guyenne avec Robin Petit-Loup. Sur cette tunique, figure enfin un des emblèmes de Charles VII qui est l'iris, on voit un peu partout cette fleur dans l'emblématique de Charles VII.

Le deuxième grand portrait que vous connaissez bien, c'est celui du document 13 qui a été à Bourges pendant longtemps, jusqu'à la démolition de la Sainte Chapelle de Bourges en 1757, c'est ce portrait qui est le premier portrait indépendant à mi-corps que l'on connaisse dans l'histoire de la peinture occidentale. Il revêt un double aspect: à la fois portrait officiel, c'est l'effigie majestueuse du souverain et également représentation tout à fait réaliste à la manière des peintres flamands..
Les publicistes contemporains se sont finalement bien accommodés du réalisme de ce portrait, c'est la mauvaise mine, la mauvaise santé du roi. C'est ce portrait d'un vêtement à la mode, Ses épaules rembourrées et les analyses précises qui ont été effectuées par un laboratoire montrent que le peintre a finalement agrandit ce vêtement à la mode pour donner plus d'importance au personnage et pour être à la mode de ce milieu du XV e siècle, c'est le maheutre

L'effigie majestueuse du souverain dont le buste en triangle renversé s'inscrit dans le losange des rideaux symétriquement écartés, symbole de majesté, tout comme l'azur rehaussé d'or du chapeau. On note aussi un visage aux traits maussades, à l'immense nez plongeant d'où se dégage une impression de lassitude, correspondant à un personnage qui finira par se croire envoûté par ses ennemis..

C'est précisément dans l'entourage proche de ce souverain que nous retrouvons Jacques Cœur au moment de l'entrée du roi dans Rouen libéré le 10 novembre 1449, il est dans le grand cortège. Jacques Cœur a cette date avait réunit la plus grande fortune privée française de tout le XV e siècle.
Et on peut se demander quelles sont les bases de cette fortune.

La fortune de Jacques Cœur

Les plus rémunératrices de ses activités se situaient à Montpellier et dans sa région, nous avons ici un témoignage qui est la réception fastueuse dans son Hôtel de Montpellier par Jacques Cœur d'un autre écuyer du duc de Bourgogne Philippe le Bon. Il aimait beaucoup ce genre de compagnie c'est un personnage qui est un petit peu isolé dans ce XVe siècle, il aurait été beaucoup plus à sa place à l'époque des grands tournois de chevalerie du XIII e siècle celui qui s'appelle Jacques de Lalaing " le bon Chevalier".

Je vais vous montrer la maison de Jacques Cœur à Montpellier cela va vous donner une idée de cette demeure(document 15), gravure sur bois de Sébastien Munster, on retient surtout de quelque chose qui est approximatif évidemment, c'est cette grande tour, haute de 25 mètres, cette demeure se situait dans une rue que l'on connaît très bien qui s'appelait à l'époque la rue Embouque d'Or c'est actuellement la rue des Trésoriers de France.
Dans ce Montpellier, Jacques Cœur avait fait construire également une loge des marchands, détruite actuellement, et qui est sans doute comparable à la loge que l'on voit à Perpignan, plus une grande fontaine ; c'est dans ce Languedoc que Jacques Cœur avait donc trouvé les moyens les plus considérables pour échapper à une difficulté qui frappait pratiquement tous les gens de négoce à l'époque et les gens de l'administration c'est à dire les défaut de liquidité pécuniaire.

Selon une formule extrêmement heureuse de M Mollat que l'on peut retenir, on peut dire que pour Jacques Cœur, tout se passait comme si il avait un compte courant ouvert en permanence sur les finances du Languedoc, cela veut dire ceci : il prélevait sur les recettes fiscales de la province comme commissaire du roi auprès des Etats et c'était lui qui était chargé d'aller rechercher pour le roi ce que les Etats votaient tous les ans ou tous les deux ans et il prélevait au passage soit directement soit par l'intermédiaire de ses collaborateurs car l'administration financière du Languedoc était véritablement truffée par des gens qui étaient à sa solde, ils étaient extrêmement nombreux.
Pour prendre un seul exemple, Guillaume de Varie était le contrôleur général de ces finances. Il y avait ensuite, toujours tiré du Languedoc, des ressources de la ferme des droits perçus à l'occasion des foires de Pézenas ; il y avait les gains réalisés dans le trafic du sel le long du Rhône venant des salines royales de la petite Camargue et là tout allait bien puisque Jacques Cœur était visiteur général des gabelles

Il y avait surtout enfin les bénéfices tirés des voyages de ses galées provenant de l'Orient, du Magreb ou des rivages chrétiens de la Méditerrannée occidentale et touchant d'abord à Aigues Mortes et ensuite à Marseille.

Les bateaux de Jacques Coeur

L'évocation de l'Orient est aussi très caractéristique de la décoration de cette maison ; c'est le document 16 que vous connaissez, et puis il y a également avec des documents 17 et 18, la représentation des navires de Jacques Cœur ; il y en a deux, d'abord ce petit bâtiment qui semble surtout un bâtiment armé pour la guerre et pas tellement un bâtiment de commerce et un vitrail, une grosse nef qui porte les armes de Jacques Cœur je m'arrêterais là ; pour le détail technique de ces bateaux qui étaient au nombre de 4 principaux, il se trouve que M. Mollat par son environnement familial est sans doute le plus grand connaisseur français des bateaux au Moyen Age, donc je vous y renvoie. Ce qu'il faut surtout noter, c'est que ces bateaux bénéficiaient du monopole royal d'importation des produits venant d'Orient.; les épices en particulier,
On peut ajouter quand même ceci, c'est que ces bateaux étaient certainement des bateaux d'assez faible tonnage, 100, 200 tonnes de port, autrement dit, rien de commun avec les grands bateaux génois qui atteignaient 1000 tonnes et davantage.

Donc au total, on voit déjà apparaître ici les réserves de certains historiens à propos du rôle d'armateur ou de grand commerçant et grand marchand de Jacques Cœur. Rien de commun avec les grandes firmes vénitiennes ou génoises d'autant qu'il ne semble pas que ces bateaux aient fait un nombre considérable de voyages vers l'Orient et la conclusion, c'est que l'on peut tout à fait bien prendre en considération la thèse d'un autre très grand historien du Moyen Age, grand spécialiste de Gênes, Jacques Heers, qui estime que Jacques Cœur n'est peut-être pas cet homme d'affaires que l'on a dit, qui courrait les chances et les risques d'une entreprise privée, mais plutôt un commis du roi et de l'Etat, agissant dans le cadre d'un service public. Si vous voulez une sorte d'énarque avant la lettre.

En tout cas ce trafic maritime, nous pouvons le représenter et le cartographier, c'est la carte numéro 19, Vous voyez comment se présentent les choses, à partir de ce point de départ, Aigues Mortes, Marseille, mais également des ports catalans, Collioure appartient à ce moment là à la Catalogne. Un courant va se diriger vers Alexandrie en passant par une base qui est extrêmement importante qui est une sorte d'entrepôts, une base où s'arrêtent les bateaux, c'est Rhodes, Jacques Cœur avait de bons rapports avec les Hospitaliers installés à Rhodes. Et ce courant emmène en direction de l'Orient deux grandes catégories de marchandises, d'abord, des draps, Jacques Cœur profite ici d'une sorte de changement vestimentaire qui a lieu à ce moment là, on s'habille avec des draps, ce qui n'était pas le cas auparavant. Et il emporte en même temps des quantités importantes d'argent car l'argent fait prime en Orient, l'Orient et le Moyen Orient manquent d'argent et donc il y a tout intérêt à transporter de l'argent dans cette direction.

Le commerce de marchandises de Jacques Cœur

Il emporte également des fourrures, fourrures vairs, pare exemple , "Vair" du corail de Provence, de Sardaigne, en sens inverse, les bateaux revenant vers l'Occident transportent évidemment des épices, transportent de l'or, cette fois-ci, l'or était arrivé à Alexandrie en provenance du Soudan, du coton, des soieries et indirectement de l'alun, et il faut préciser quelque chose qui est intéressant, c'est que toutes cette zone ci, où se trouve Chio, où mourra Jacques Cœur était interdite pratiquement aux bateaux, notamment aux bateaux français, les génois se réservant le monopole de l'alun donc Jacques Cœur devait s'alimenter là, pour une fois indirectement en alun auprès des génois.

Une tentative malheureuse de laine et de cuir d'Ecosse qui arrive en très mauvais état à La Rochelle. Donc Jacques Cœur n'insiste pas. Son idée était de créer à Bruges une base qui, avec la paix retrouvée du côté de l'Angleterre aurait permis le développement de ses affaires dans cette direction.

Tout cela arrivait dans les ports de Méditerranée en ce qui concerne maintenant au trafic intérieur, nous allons passer à un autre document N°21, ce document est un peu complexe, je le détaillerais.

Venant des ports méditerranées, des épices dont je vous parlais avec un centre qui apparaît ici, Le Puy, par exemple où o,n peut passer également par Lyon, donc en direction de Bourges et en direction surtout l'affaire essentielle, car c'est à Tours que se trouvaient les magasins de l'Argenterie qui recevaient tous ces produits précieux, dont les familiers du roi étaient friands. Ces marchandises pouvaient aller ensuite en direction de Bruges, mais aussi vers Rouen et d'autres points du royaume.

On voit aussi en sens inverse, la descente des draps de Flandres en direction de la Méditerranée, l'alimentation en draps également du Berry bien entendu, le Languedoc, et le long des trois fleuves, la circulation du sel, le sel qui remontait de Camargue, le sel qui venait de la baie de Bourgneuf, ici et qui remontait la Loire en direction par exemple d'Orléans et de Paris et le même trafic sur le Seine.

L'essentiel de ce trafic était destiné à l'approvisionnement des magasins de l'Argenterie qui étaient à Tours puisque le roi Charles VII s'est plutôt bien fixé dans un petit château à côté de Tours, le château de Plessis-les -Tours, à partir de 1444. Et Jacques Cœur était à la fois, ce qui fait un des éléments essentiels de sa fortune, le fournisseur d'articles de luxe et celui qui les vendait ensuite aux gens de la Cour, avec des profits qui étaient sans doute substantiels. Au passage, on peut noter qu'il s'accommodait de paiements assez originaux. On sait qu'au moment de la construction de cette maison que le seigneur d'Aubigny, bien connu, Jean Stuart, qui avait pris des marchandises à l'Argenterie de Tours a payé directement sans passer par l'Argenterie. Il a payé Jacques Cœur en fournissant du bois pour la construction de la maison où nous sommes.
Inversement, bien sûr, ces opérations dans lesquelles il réalisait des profits et l'on disait qu'il faisait des profits considérables étaient obérés par le capital investi mis dans les stocks. Au moment du séquestre, par exemple, on a retrouvé à Tours, à l'Argenterie, un millier de pièces de tissu, 6500 pièces de fourrures, vairs essentiellement, était obérés également par l'importance des découverts qu'il consentait à ses clients. Toujours au moment du séquestre, on a relevé le nom de 200 débiteurs pour une charge globale supérieure à 100 000 livres tournois.

Pour clore cet aperçu concernant les affaires de Jacques Cœur, plusieurs traits méritent d'être soulignés; je crois que ce qui fait l'essentiel du succès de Jacques Cœur, c'est l'extraordinaire activité qu'il déploie. Une énergie tout à fait considérable, c'est un personnage sans cesse en mouvement, pour maîtriser la dispersion de ses affaires, pour s'assurer l'obtention d'offices, d'honneurs ; aux mentions des charges déjà indiquées auprès des Etats du Languedoc, visiteur général des gabelles, il faut ajouter toute une série de missions diplomatiques à Gênes, auprès du roi d'Aragon qui était fort important puisqu'il maîtrisait toute une large partie de la Méditerranée occidentale, auprès du pape évidemment, avec de très grandes ambassades, en particulier en 1447, 1448, et voyez c'est le moment où le statut d'homme du roi commence à s'imposer véritablement, donc une activité extraordinaire qui apparaît d'ailleurs en creux avec la médiocrité semble-t-il de son fils, du seul de ses fils qui ne soit pas clerc, Ravant Cœur un personnage autant qu'on puisse le saisir, particulièrement fallot.

Deuxième caractéristique, concernant les aspects techniques de ses affaires, l'accord est absolument unanime auprès des historiens, pour dire que nous ne trouverons absolument pas chez lui la sophistication que l'on connaît dans les entreprises italiennes.

Certes, Jacques Cœur connaît la lettre de change, on a quelques témoignages mais par exemple, lorsqu'il s'agit de transférer des sommes importantes pour régler des achats, il n'hésite pas à confier des sacs remplis de pièces de monnaies tout simplement à des voituriers qui les acheminent dans telle ou telle direction, ce qui est archaïque comme système et absolument impensable dans l'Italie des banquiers .

On note aussi l'association : fabrication, commerce ou diffusion des produits et ce dont on peu discuter c'est l'utilisation de formules un peu contemporaines, ( certains et non des moindres n'ont pas hésité à parler de concentration verticale à propos de la draperie du Berry), il avait la production, à propos de la soierie de Florence et à propos également de la fourniture armes puisqu'il était ici à Bourges en association avec des gens ,les frères de Tresse (?) et ils écoulaient ensuite les armes, d'autant plus facilement d'ailleurs que c'était la période de la fin de la guerre de 100 ans et qu'il y avait ces grandes opérations soit en Normandie soit dans les deux campagnes de Guyenne par lesquelles se termine la guerre de Cent ans.

Les hommes de Jacques Coeur

Le dernier trait qui mérite d'être signalé, c'est une gestion des hommes qui l'entourent, basée sur une confiance qui soude véritablement les gens autour de lui. On a pu parler à propos de ses commis, de ses facteurs, d'une véritable équipe il y a des relations personnelles. Il y a aussi le fait que beaucoup étaient les berrichons, très nombreux étaient les gens de Bourges et même les gens qui habitaient dans la même rue que Jacques Cœur. Ce réseau de solidarité se reflète dans l'ornement de la Chapelle de la Grant maison : armes de Guillaume de Varie, Pierre Jobert. Cette solidarité ne s'est pas démentie au moment de la catastrophe, c'est à dire au moment du déclenchement du procès. Cette solidarité lui a permis très souvent d'opérer en sous main par l'intermédiaire de gens dont il avait la confiance. En sous-main car on disait que Jacques Cœur avait la main trop forte et les gens craignaient d'avoir à faire directement à Jacques Cœur. On a un autre témoignage à propos des Etats de Languedoc je voudrais le citer

Jacques Cœur procède en termes durs et exquis, c'est à dire et qu'il use de comminatoire, dans des négociations délicates comme l'achat de certains biens, c'étaient des prêtes-noms qu'il utilisait. De ces prêtes noms, il y a des exemples qui sont particulièrement nombreux, il y en a d'abord à l'Hôtel des monnaies de Bourges, il y en a à la monnaie de Montpellier, il y en a, je vous le disais tout à l'heure, dans l'administration financière du Languedoc, il y en a à l'occasion du trafic du sel le long du Rhône et au moment du procès, Jacques Cœur dit qu'il a fait ça car il n'aurait pas été convenable que son nom apparaisse directement dans les comptes.

Jacques Cœur sur tous les fronts

Dans toute cette affaire, l'année 1447 marque un véritable tournant, tournant qui est caractérisé par une sorte d'amplification des activités de Jacques Cœur. Tout d'abord, on estime qu'il fut vraisemblablement l'instigateur de l'ordonnance du 27 juillet 1447 décidant, pour la première fois depuis 1370, la frappe de pièces d'argent de bon aloi ce qui créait ce que l'on a appelé le GROS de Jacques Cœur que vous allez voir maintenant.

La pièce est évidemment un petit peu usé, j'en ai dans ma poche une autre encore plus usée que je ne vous montre pas il faut surtout regarder ce qui se passe en dessous et ces pièces qui sont des pièces en argent et ce qui est intéressant, c'est que c'est la première fois depuis 1370 que l'on frappe une pièce de très bon aloi à 92% d'argent fin. C'est une pièce qui vaut deux sous, ou 6 deniers tournois et qui est en quelque sorte le symbole du retour à une monnaie saine.
Je dirais tout de suite que cette émission est sans grand rapport à mon avis avec le fait que Jacques Cœur possède des mines de plomb argentifère dans la région de Lyon à Paimpailly. Ce serait très tentant de dire, voilà il exploite ses mines et fait frapper les Gros du roi, non certainement pas.
Par contre, puisque je suis à ce chapitre des mines, ce que l'on sait sur document c'est que la mine voisine qui était une mine de cuivre a Chessy dans le Beaujolais, 30 kilomètres à l'ouest de Lyon a été vraiment exploitée au moment des dernières opérations militaires en Guyenne. On connaît par exemple le transport de quantités de cuivre depuis Lyon jusqu'à Toulouse pour la fabrication d'armes à feu c'est à dire de couleuvrines utilisées pour la guerre de Guyenne.
Donc il y a dans ce tournant 1447/1448, d'abord la frappe de cette pièce. Et c'est surtout le moment et on va revenir au document 21 où Jacques Cœur est pris d'une sorte de frénésie d'acquisition de biens fonciers.
Je les ai représenté avec des hachures et vous voyez qu'ils forment une sorte d'arc depuis La Puisaye, la seigneurie essentielle étant cette de Saint Fargeau en passant par le Berry et par Bourges même. Pour le Berry, je détaille rapidement, la principale, c'est Mennetou Salon, qui valait quand même 8000 écus, ce qui n'est pas rien, ensuite Ainay le Vieil, Marmagne Maubranche, Barlieu, Lizy et enfin quelque chose de moindre importance à Asnières, qui valait seulement 120 écus. (grange) .

Donc nous disons, Le Puisaye, le Berry, nous reviendrons sur le cas de Bourges. Ensuite le Bourbonnais, il se trouve que Jacques Cœur était vraisemblablement originaire d'une famille de Saint-Pourçain sur Sioule, donc acquisitions dans cette région et enfin, à l'extrémité de l'arc, l'acquisition de ces seigneuries proches de Roanne, Boisy et la région de Saint Haon le Chatel. Il faudra ajouter à tout cela en dehors de Bourges même, les biens sur lesquels nous allons dire un mot, des hôtels à Saint-Pourçain sur Sioule, à Moulins, à Tours, à Lyon. A Lyon dans une rue bien connue qui est la rue Mercière, à Montpellier rue Embouque d'Or, à Marseille … etc

Ces opérations étaient souvent menées à bon compte, Jacques Cœur s'attaquait à des maillons faibles en quelque sorte, il opérait auprès de gens qui s'étaient endettés au cours de la guerre de 100 ans. Vous allez voir dans le document 23, un personnage du Bourbonnais, prisonnier aux Anglais par trois fois pour le service du roi, cela lui a coûté plus de 9000 écus.
C'est quant même assez considérable, c'est proche de ce que Jeanne d'Arc a coûté lorsqu'elle a été vendue aux anglais, 10 000 écus. Il est donc ruiné, Jacques Cœur s'approche, met la main sur ses biens; il opère également de manière très intéressante lorsqu'il s'agit de biens dotaux, c'est à dire lorsque un seigneur ruiné a les biens de sa femme. C'est sur les biens de son épouse que Jacques Cœur fait porter son effort ce qui a été le cas à Roanne.
En Roannais, ça s'est d'ailleurs assez mal passé, on a le témoignage de la dame qui ne voulait pas vendre, c'est le cas également de Marmagne Maubranche.

Jacques Cœur à Marseille

Autre élément très important, dans ce tournant c'est le transfert de sa base d'Aigues-Mortes à Marseille. A Marseille, cela veut dire en dehors du royaume, chez le roi René, là où les opérations portuaires étaient plus aisées, un port profond, protégé du Mistral par des collines, des magasins au bord de l'eau et surtout des avantages fiscaux. Alors vous allez voir le document 22, c'est une scène qui représente une Marie Madeleine, ici, il se trouve qu'un des bateaux de Jacques Cœur s'appelle La Madeleine, ce qui est intéressant ici, c'est le port de Marseille, et la maison de Jacques Cœur était sur le quai même, avec de très vastes entrepôts qui lui permettaient une décharge très facile des produits, et d'une manière très symbolique, se trouve ici, le château des Hospitaliers, qui est en quelque sorte la tête de la ligne qui conduisait à d'autres bâtiments que les Hospitaliers avaient à Rhodes.
Donc il s'en va à Marseille, cela va d'ailleurs lui causer pas mal d'ennuis au moment du déclenchement du procès.
C'est là qu'il installe le plus entreprenant de ses facteurs, son neveu, Jean de Village, bien connu à Bourges. Le dernier grand changement, c'est l'achèvement des travaux de cette "Grande Maison", entrepris en 1443.
Là aussi il ne faut pas se faire beaucoup d'illusions, Jacques Cœur n'a pas vraiment résidé là où nous sommes ce soir, un de ses facteur Pierre Jobert dit qu'il ne " faisait aucune résidence à Bourges ni en aucun lieu particulier", il circulait sans arrêt, et c'est l'occasion pour nous, c'est le document 24 de voir quels étaient les biens de Jacques Cœur à Bourges.

Les biens de Jacques Cœur à Bourges

Il y a tout d'abord, le lieu de sa naissance qui est rue de la Parerie, près de l'Yèvrette dans le quartier des tanneurs et pelletiers, le père de Jacques Cœur était vraisemblablement l'un d'entre eux, et dans cette même zone se trouvait des gens qui lui seront très proches, les Villages, qui étaient des drapiers, il y a surtout évidemment le voisinage du Palais Ducal et de la Sainte Chapelle.

En haute de la rue d'Auron, se trouvaient 4 maisons se faisant face à face, deux venant de l'héritage du père de Jacques Cœur, deux venant de l'héritage du beau-père de Jacques Cœur, Léodepart. Jacques Cœur lui-même n'était pas là, il habitait cette maison qui est dans l'actuelle rue de Linière et il y a été très longtemps, dans cette maison qui appartenait à un armurier et qui après la chute de Jacques Cœur a appartenu à nouveau à un des frères de Trèze (?), armurier.

Et puis il y a la " Grant Maison" où nous sommes, ici, vous voyez que Jacques Cœur avait aussi des maisons de moindre importance, ou des emplacements de maisons, comme au niveau de la place Gordaine.

Et également dans cet extérieur, noté par un point rouge, l'essentiel se situe quant même dans le haut de la rue d'Auron, la maison qu'il a habité pendant près de 20 ans, et place Gordaine où l'un de ses facteurs, Pierre Jobert avait aussi sa maison. Et Jacques Cœur avait là une table de change.


Nous sommes renseignés évidemment sur ces maisons et notamment sur cette Grant Maison par les enluminures, et en particulier par cette enluminure de Bourges en provenance de l'atelier de Jean Colombe. C'est la façade de cette Grande Maison où nous sommes, c'est le une double symbolique se dégage de l'édifice. D'abord une magnifique demeure aristocratique, avec des éléments qui sont empruntés au château de Mehun sur Yèvre, et c'est surtout l'insistance de la représentation de l'emblématique royale, les fleurs de lys, jusqu'à la révolution vraisemblablement. On voit une statue de Charles VII, c'est débattu, certains y verraient plutôt une Charité Saint Martin, Saint Martin découpant son manteau. Il faut voir, mais je crois que c'est plutôt Charles VII en roi-chevalier.

On trouve l'association insistante de l'emblématique royale jointe aux armes et devises de l'Argentier, ce qui témoigne de sa volonté d'étaler l'étroitesse de ses liens avec le roi.

les décors ont été exécutés de 1448 à 1451.

Il suffit que vous vous retourniez, il y a cette célèbre porte dite "porte royale" document 25, qui est derrière vous, avec la représentation de cette biche et de ce cerf ailés couchés sur un champ d'iris dont nous verrons d'autres reproductions qui figuraient sur des tapisseries il y avait dans cet Hôtel une tapisserie vermeil dit le texte à "cerfs volants" et vous verrais à nouveau ces cerfs volants caractéristiques de l'emblématique du roi dans les tentures d'un lit de justice dont je reparlerais, c'est le lit de justice de Vendôme, si l'on regarde un détail de cette reproduction, le document 27, vous voyez qu'il s'agit d'un cortège qui sort de l'Hôtel mais d'un portement de croix se dirigeant vers le Golgotha, et le fait que cette œuvre soit postérieures à la condamnation autorise d'y voir une allusion à titre un peu commémoratif des malheurs et de la chute de l'Argentier par quoi nous allons maintenant terminer.

La chute de l'Argentier

Le procès de 1451 à 1453, l'approche de ce procès est rendue malaisée parce que l'on a à faire à une procédure qui ne sera qualifiée que plus tard.

Trois points doivent être soulignés :

Il faut attendre le premier quart du XVI e siècle pour que soit précisé par exemple, la notion de lèse-majesté
Ne sera précisée que dans le premier quart du seizième siècle la procédure "extraordinaire", c'est à dire inquisitoire, pour les affaires criminelles. Ce ne sera véritablement organisée que par les ordonnances de Blois en 1499, donc c'est un peu tard pour nous en ce qui concerne le fait que ce procès a été conduit selon les règles de la justice retenue. Je veux dire par là, que le roi n'a pas délégué sa justice, il a opéré lui-même directement. Cette justice retenue est le fait d'un organisme que l'on appelle le Grand Conseil malheureusement, il se trouve que nous ne possédons pas les registres du Grand Conseil avant 1483, ce qui est évidemment trop tard pour nous.

Il n'est pas question de refaire l'ensemble de l'histoire de ce procès, mais d'essayer d'en préciser les grandes phases, et les caractéristiques juridiques. La plupart des historiens utilisent des transcriptions faites au XVIII e et XIX e siècle, ainsi Jacques Heers avec les Actes Judiciaires publiés par Buchon en 1838.

S'il y avait une seule chose à retenir, ce serait celle-ci : ce procès est un procès je dirais à la Nicolas Fouquet, sous Louis XIV, c'est à dire que tout est combiné pour qu'il se conclût par la perte des biens de l'Argentier.
Alors pour ce faire, c'était finalement assez simple, il fallait prouver la lèse-majesté et instruire selon la procédure inquisitoire, et cela dans le cadre de la justice retenue. Le document 28 va vous monter un roi de France, dans la bourse du roi apparaît une main de justice. Le roi tient une baguette qui symbolise que le roi détient au nom de Dieu la justice sur les hommes,.

Comment les choses se sont-elles engagées ? l'ascension de Jacques Cœur s'était accompagnée évidemment d'un certain nombre de rancœurs qui s'exprimaient à la Cour et en Languedoc, en particulier dès les années 1445 l'archevêque de Reims, Jean Jouvenel des Ursin, il faut faire attention aux prénoms, car il y a trois frères qui vont jouer un certain rôle. Là c'est Jean qui déclare qu'il faisait des profits absolument scandaleux et il est certains que ceux qui risquaient leur vie ou leur fortune dans les combats de Normandie ou de Guyenne voyaient évidemment d'un assez mauvais œil cette ascension et ces investissements subits en biens fonciers depuis 1447. En Languedoc la grogne était générée par deux choses, d'abord le fait qu'il y avait ce monopole des galées de France. Les marchands languedociens soupiraient après, disaient-ils le fait que le commerce devait être libéral, on était dans une réflexion quasi contemporaine et également ce qui les a beaucoup choqué c'est le départ pour Marseille .

Par ailleurs il y avait d'autres éléments plus troublants, on pourrait se demander et si la fidélité de Jacques Cœur envers le roi n'était pas troublée, par les liens entretenus par Jacques Cœur avec le Dauphin c'est à dire le futur Louis XI, qui commençait à s'agiter beaucoup et par des liens avec ce personnage tout puissant dont je parlais tout à l'heure, c'est à dire le roi d'Aragon Alphonse V .
Leurs deux noms n'étaient-ils pas évoqués, lors de l'affaire de la mort d'Agnès Sorel en 1450. En fait il était tentant pour le roi de mettre la main sur la fortune d'un personnage qui était en partie son créancier on estime que Jacques Cœur avait investi 200 000 écus dans la campagne de Normandie, cela fait tout de même 275 000 livres tournoi en fin de compte, et à nouveau 80 000 livres tournoi pour la première campagne de Guyenne, toujours est-il qu'on arrive à la première phase du procès, il y a quatre phases, que je vais maintenant aborder pour terminer.

Les "crimes" de Jacques Cœur ?

La première phase consiste en une information préalable décidée à la fin du printemps de 1451, elle est conduite en secret, quasi secret, alors que Jacques Cœur est auprès du roi, et elle s'avère quasiment décisive, puisqu'elle permet de faire peser sur l'Argentier une double accusation :

- d'abord un meurtre, une débitrice de Jacques Cœur, elle lui doit tout de même 500 écus, c'est une affaire vieille de 3 ans, Jeanne de Vendôme l'accuse formellement d'avoir empoisonné Agnès Sorel.

Agnès Sorel, vous connaissez tous ce volet du diptyque qui se trouve à Anvers, toujours par Jean Fouquet et commandé par Etienne Chevalier, l'un des exécuteurs testamentaires d'Agnès Sorel, on va le montrer au passage, sans que l'on soit absolument sûr qu'il s'agisse bien d'Agnès Sorel, enfin la beauté s'impose c'est le document 29. Dans la manière de Fouquet, la géométrisation du visage, la pâleur du visage, on a souvent dit une sorte d'érotisme glacé.
Ensuite un crime de lèse majesté. On fouille un peu partout et on trouve dans la maison de Jacques Coeur à Montpellier, un sceau semblable au petit sceau secret du roi c'est à dire le sceau en cire rouge avec lequel le roi scellait ses lettres privées, ses lettres closes, vous allez voir le sceau secret de Charles VII. Il a 42 mm de diamètre, c'est un sceau de type armorial : l'écu aux 3 grosses fleurs de lys renvoyant au pouvoir royal.

Le deuxième acte est la décision prise par le roi le 31 juillet 1451 au château de Taillebourg près de Saint Jean d'Angely (Charente Maritime), le Grand Conseil entendu, d'imputer à Jacques Coeur le crime de lèse-majecté, ce qui entraîne immédiatement l'arrestation de l'Argentier, astreint à tenir prison fermée, et la mise sous séquestre de ses biens.

Quatre crimes de lèse majesté, donc vous l'avez vu, il y a la contre façon du sceau du roi et on y ajoute très rapidement, c'est le document 31, l'imitation de la signature de Charles VII il se trouve que l'on a repéré chez Jean Thierry justement qui était le clerc, et homme de confiance de l'Argentier.
Deuxième crime de lèse majesté, là aussi il y a quelques résonances contemporaines, c'est la fourniture d'armes à l'Orient, fourniture d'armes aux Sarrasins alors fournitures d'armures, d'armes de poings… etc à quoi on ajoute la remise d'un jeune esclave chrétien qui avait échappé à sa captivité, s'était réfugié sur un bateau de Jacques Cœur en rade d'Alexandrie et que les hommes de Jacques Cœur ont rendu, on verra dans quelles conditions.

Donc contrefaçon du sceau du roi, relations avec les Sarrasins on revient à l'ancienne affaire de la fabrication de fausse monnaie de Bourges en 1429 - 1430 : falsification portant sur le titre et la taille d'écus royanx., pour laquelle il y avait eu pourtant des lettres de rémission.

Et enfin on ajoute quelque chose de très pittoresque c'est une escroquerie émise au mois de décembre 1446 au moment du mariage de ce Comte de Clermont avec Jeanne de France. Le duc de Bourbon son père avait envoyé une ambassade dans laquelle figurait un personnage portant le nom fameux de Lafayette, les Lafayette étaient déjà là et il se trouve que l'on accuse Jacques Cœur de s'être entremis dans cette affaire et d'avoir exigé pour que le mariage soit réalisé, le versement d'une somme de 2000 écus les textes disent " faute de quoi il ne ferait rien de leur besogne" . Le roi voulant avoir cette somme "pour ses plaisirs et pour jouer aux dés aux fêtes de Noël"; donc c'est une atteinte à l'honneur du roi qui est ressentie assez durement

Quels sont les commissaires qui instruisent tout cela et s'acquitèrent parfaitement de leur mission ? Il y a des familiers du souverain , par exemple un ancien protégé d'Agnès Sorel, le sénéchal de Saintonge et Chambellan du roi, celui-là même qui mettra la mains sur les biens du Roannais Guillaume Gouffier.

Il y a aussi de la même manière pour les biens du Puisaye, Antoine de Chabannes qui, par ailleurs, est le gardien de Jacques Cœur dans sa prison. Il y a également des hommes de loi en quête d'une promotion par exemple un lieutenant du sénéchal de Saintonge, un personnage qui s'appelle Elie de Tourrettes, qui est créé cinquième Président au Parlement de Paris le 5 juin 1454 sans jamais avoir été Conseiller, c'est à dire que nous n'avons pas inventé à l'heure actuelle le tour extérieur.

Il y a aussi dans ces commissaires des hommes d'affaires, souvent Languedociens, parfois d'anciens associés de Jacques Coeur par exemple les frères Teinturier mais aussi des figures extrêmement inquiétantes, et parmi ces figures inquiétantes se dégage celle de ce capitoul de Toulouse, Otto Castellani qui est un florentin établi à Toulouse dans les années 1440, trésorier royal, capitoul en 1443. Il sera d'ailleurs le successeur éphémère de Jacques Cœur à l'Argenterie mais c'est un personnage extrêmement louche, trouble, qui sera bientôt convaincu lui aussi de crime de lèse-majesté en raison de ses liens avec le milieu particulièrement délétère des jeteurs de sorts et autres magiciens .

Toujours est-il que le 14 juin 1452 au château de Chissay, donc à proximité de Tours, a lieu une réunion générale pour faire le point pour savoir comment on continue. Faut-il continuer l'instruction, faut-il continuer à interroger Jacques Cœur,et se pose le problème de la question que recommande l'inquisition pour venir à bout des obstinés. Faut-il lever le secret , et finalement le roi décide de lever le secret pour un période de 2 mois qui a été prolongée en fait jusqu'à la fin de l'hiver 1452/1453 en raison de la reprise de la guerre de Guyenne et dans l'intervalle, Jacques Cœur est autorisé à prendre contact avec ses fidèles mais il se trouve que la plupart ont quitté le royaume évidemment de peur d'être arrêtés, c'est le cas de Guillaume de Varie, de Jean de Village, de bien d'autres encore. C'est le moment quant même que se situe l'intervention favorable à Jacques Cœur de quelqu'un qui l'a connu et qui l'a apprécié, c'est directement le pape Nicolas V lui-même et je fais produire ce document 32 avec les armes de ces papes à la sacristie du chapitre, offerte à la cathédrale de Bourges par Jacques Cœur, on sait le rôle dans sa grande ambassade de 1448 et dans l'abdication de l'anti-pape Félix V en 1449..

La sentence

Il se trouve par ailleurs que le propre frère de Jacques Cœur, Nicolas Cœur avait été représentant du roi auprès de la papauté pendant quelques années. Ce que l'on voulait surtout dans cette sentence que l'on appelle interlocutoire, c'était de savoir si l'accusé pouvait bénéficier, après avoir reçu les ordres ecclésiastiques, d'un privilège de cléricature.
C'était très important parce que l'accusé ne pourrait certainement pas échapper aux hommes du roi puisqu'il y avait lèse-majesté mais s'il y avait la preuve de la cléricature au moment de la reprise des interrogatoires, la question, c'est à dire la torture, serait effectuée sous le contrôle de l'Eglise. Donc il était très important de savoir si Jacques Cœur était clerc ou pas. Il y avait deux moyens assez simples, savoir s'il était tonsuré au moment de son arrestation et savoir s'il portait des vêtements de clerc.
Des témoins sont entendus, dont Jean Vidal, marchand de Narbonne, et la conclusion, c'est qu'il n'était absolument pas clerc et finalement son costume devait être comparable à ce que l'on voit ici dans le décors de la tour centrale, c'est le document 33.
Il portait une robe courte à mi-cuisse et on a un témoignage qui est particulièrement intéressant, c'est un témoin qui décrit très précisément le costume porté par Jacques Cœur au moment où il est arrêté, costume je dois le dire qui n'a rien à voir avec celui que vous avez vu devant la grande maison avec la statue de Préault.
Je cite maintenant : "Jacques Cœur a été pris en robe noire courte, mi-cuisse, chausses de vert obscur, pourpoint de velours ou satin cramoisi, chapeau gris, chaussures à poulaines" donc finalement Jacques Cœur ne tire pas profit de cette suspension exception faite de la production de deux saufs conduits pontificaux (Eugènne IV en 1446 et Nicolas V en 1448) qui autorisaient sous certaines conditions le trafic avec les infidèles et on arrive à la dernière phase qui est celle des derniers interrogatoires, en mars 1453 au château de Tours.
Ce qui domine tout ça, c'est la mention de la torture ou sa menace, une tentative d'appel et finalement l'effondrement de l'accusé. Vous allez voir dans le document 34, ce sont les questions que l'on pose à Jacques Cœur, là ce sont des indications chiffrées, ce sont les articles sur lesquels on interroge Jacques Cœur et là, ce sont les mentions de tortures, par exemple, ici c'est assis sur le billot avant que fut achevé de lier et en délassant son pourpoint, on verra dans le document 35, en plus gros, livré aux questions et dépouillés et en délassant son pourpoint . Donc la torture est absolument pratiquée.

Comment Jacques Cœur réagit-il ? Eh bien il dit qu'il s'en rapporte aux témoins des accusations, il ne se défend pas vraiment il y a un seul point sur lequel il n'est pas d'accord, c'est l'empoisonnement d'Agnès Sorel, et de fait son accusatrice sera convaincue de faux témoignage. Pour le reste il reconnaît les faits, il déclare que s'il est torturé, il confessera ce que l'on voudra et il essaie seulement de les expliquer, soit par un soucis de bien public, il dit qu'il faisait ces trafics vers l'Orient pour donner bruit, c'est à dire donner de la renommée à la marchandise de France. Pour les esclaves chrétiens, il dit que, je cite " il sait bien que si un français s'était échappé aux anglais, ou si un anglais s'était rendu en ce royaume, pour être français, que celui qui le rendrait serait digne de grande punition". Ou bien alors il explique son attitude par des considérations sur la concurrence disant que s'il n'avait pas pratiqué ainsi, les génois auraient interdits l'embarquement d'épices sur les bateaux français.
Au total, il s'en remet à la bonne grâce du roi, en ajoutant quand même avec une bonne dose d'amertume, il croyait "avoir autre salaire et autre triomphe pour les services qu'il a fait". La condamnation qui intervient le 29 mai 1453 dans une assemblée un peu moins solennel que le lit de Justice (celui de Vendôme ayant été merveilleusement décrit par Fouquet, c'est le document 37).

Vous voyez ici le roi en majesté, à ses pieds le grand Chancelier de France qui est le frère de celui qui accusait Jacques Cœur, d'avoir fait des profits énormes, cette fois-ci c'est Guillaume Jouvenel des Ursin et vous le voyez avec sa robe rouge, à côté un des compagnons de Jeanne d'Arc, Dunois qui est des seuls à avoir déposé dans le procès de Jacques Cœur à décharge, les membres du Parlement … etc vers l'avant les gardes écossais avec ce décors de perle et surtout siégeant au parquet comme il se doit le procureur général du roi au Parlement de Paris, celui qui met les biens de Jacques Cœur sous séquestre, c'est à dire Jean Dauvet. C'est celui qui a parcouru la France dans tous les sens pour mettre les biens de Jacques Cœur sous séquestre pour les vendre… etc.

Les ultimes épisodes du procès ont eu lieu dans la grande salle du palais ducal de Poitiers, et on retourne ici à proximité de Jean de Berry, c'est le document 36. donc une salle merveilleuse e qui sert actuellement de salle des pas perdus au Palais de Justice, et c'est là que le Chancelier de France, Guillaume Jouvenel des Ursin prononce la sentence.
La sentence est la suivante : on prononce contre Jacques Cœur une peine de confiscation de corps et de biens c'est à dire qu'on devrait le mettre à mort, mais la peine de mort lui est remise en raison des services qu'il a rendu et en raison de l'intervention du pape pour l'essentiel, de plus deux amendes lui sont infligées,
D'abord une pénalité de 300 000 écus plus une restitution de 100 000 écus ce qui fait un total de 550 000 livres tournoi. Je disais tout à l'heure que les revenus du roi pour une année, c'est 3 millions de livres tournoi,

En attendant le versement de ces sommes il doit rester en prison et il reste en prison dans la chambre du roi au château ducal de Poitiers.
La deuxième amende qui lui est infligée n'est pas du tout une formalité, c'est une amende honorable pour reconnaître ses défauts et demander pardon à Dieu au roi et à la justice, vous allez le voir dans le document 39. On voit Jacques Cœur tenant dans ses mains une torche de 10 livres de cire qui brûle, sans chaperon ni ceinture, qui reconnaît ses fautes, et si vous voulez, il ne s'agit absolument pas d'une formalité c'est très important. Il s'agit de rentrer en grâce auprès du roi, de réparer symboliquement l'honneur du roi qui a été blessé, c'est une sorte de substitut de la peine de mort. Auparavant, il y avait eu des tentatives pour le troisième frère Jouvenel des Ursin , maintenant c'est Jacques Jouvenel l'évêque de Poitiers qui fait une nouvelle tentative pour relancer l'affaire de la cléricature de Jacques Cœur, cela n'aboutit pas, c'était d'ailleurs absolument impossible puisque l'Official de Poitiers, n'était autre que le frère du dépensier de la maison où nous sommes, de ce Guillot Tripault, son frère était l'official de Poitiers, Jean Tripault.

Avant de refermer définitivement le dossier du procès, il faut souligner qu'il y a eu une tentative de révision sous Louis XI, à l'époque où les hommes de Jacques Cœur étaient absolument rentrés en grâce, on faisait du Jacques Cœur sans Jacques Cœur, ça tourne court au bout de deux audiences sans résultat en 1462 devant le Parlement de Paris.

Epilogue : Quel a été le sort de Jacques Cœur et de ses biens.

Le sort de ses biens d'abord. Sous la pression du roi, qui écrivait à Jean Dauvet qu'il fallait se presser, et ramasser tout l'argent qu'il pouvait et bien au bout de 4 ans d'opération, en 1457, Jean Dauvet avait réussit à réunir 290 000 livres tournois sur les 550 000 que théoriquement, il aurait du obtenir.

Je vous montre, les documents qu'il aurait du obtenir, produits au moment de l'attribution de la vente des biens du Roannais, ce sont des documents 41 et 42 avec Guillaume Gouffier qui s'empare de ses biens pour la somme de 10000 écus, c'est une bonne somme, c'est la somme que le roi retient pour la maison où nous sommes, à Bourges.

Deuxième étape, il faut passer à la Cour du Trésor pour que cela devienne officialisé, et l'ensemble de la procédure pour Roanne se trouve dans un grand rouleau, c'est le Document 43 qui est très important puisqu'il mesure 15 mètres 48 sur une largeur de 0,60 mètres, et pour chacun des biens que j'ai détaillé tout à l'heure existaient de tels rouleaux , on en a conservé 5 ou 6 .

Jacques Cœur lui-même, pendant que tout cela se produisait était auprès du pape, en effet, il s'était échappé du château de Poitiers, où il était à la garde d'Antoine de Chabannes dans la chambre du roi c'était fin octobre 1454 et à la fin de 1454, il avait mis le cap vers le sud, d'abord, chez les Dominicains de Limoges, puis au confins du royaume chez les Franciscains de Beaucaire. Par un audacieux coup de main, et là on a le document, Jean de Village réussit à le faire passer en Provence en compagnie de son fils Ravant, qui n'était pas dans le royaume, on le sait par des lettres de rémission qui ont été accordées à Jean de Village et le 16 mars 1455 le pape pouvait prononcer son éloge devant le consistoire.
Et là, passent deux ans qui sont marqués, par l'arrivée, les uns après les autres des principaux responsables de ses affaires , Varie, Village …. Etc

C'est pendant ces deux ans que se prépare cette croisade contre les Turcs, puisque vous vous en souvenez, le jour de la condamnation de jacques Cœur, les Turcs s'étaient emparés de Constantinople et la croisade avait d'abord pour premier objectif le contrôle de l'île génoise de Chio.
Jacques Cœur se mêle à cette affaire sans doute dans une double intention qui apparaissait à ce moment là comme une espèce de place tournante pour les affaires. M. Mollat a eu une formule, qu'on peut reprendre. Il disait que Chio était une "sorte de Hong-Kong du XV e siècle" donc il pensait peut être pouvoir relancer ses affaires.

Mais aussi, c'est cet aspect assez complexe du personnage, il voulait aussi participer certainement à l'affrontement de la chrétienté du monde Ottoman comme un de ces chevaliers qu'il admirait beaucoup, et tout cela se termine par ce que nous apprend l'obituaire du Chapitre de la Cathédrale de Bourges, confirmé par une bulle pontificale de 1467, c'est à dire le jour de la Sainte Catherine, le 26 novembre 1456, la mort de Jacques Cœur.

Alors se pose pendant quelques années, le problème du tombeau de Jacques Cœur, est-il mort à Chio, est-il mort ailleurs ? Dans les années 1960, on a pu voir dans les gazettes une dépêche reproduite dans "Le Monde" qui annonçait que l'on avait retrouvé l'emplacement de son tombeau dans un jardin public qui a été aménagé à la suite de la disparition l'église des Cordeliers dernière demeure de l'Argentier. Pour ma part, je préférerais conclure en paraphrasant une épitaphe fameuse, "c'est dans la mémoire des vivants que se trouve le tombeau des défunts illustres."
En tout cas par votre présence ce soir, vous venez de témoigner de l'intérêt que l'image de l'Argentier continue de susciter.

Je vous remercie.

Robert Guillot